Chapitre II

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Le soir venu, les elfes se regroupaient toujours pour prendre un dîner autour de la place du village. Ce fut là que Denzal retrouva sa meilleure amie, après avoir passé la journée à aider son père à préparer différents onguents. Dalir était d’ailleurs en train de distribuer ses petits pots de terre cuite aux elfes qui les lui avaient demandés. Alessia, quant à elle, discutait avec le chef du village. À voir leur expression, le sujet semblait sérieux. Elle avait les sourcils froncés par l’inquiétude et un pli soucieux barrait le front de l’autre elfe. Malgré toute sa curiosité, Denzal choisit de s’asseoir à une table pour simplement les observer. S’approcher d’eux discrètement pour entendre leur conversation était mission impossible, on l’aurait remarqué dès aussitôt. Il préférait attendre sagement qu’elle vienne le rejoindre plutôt que de se faire enguirlander par le chef du village. Il n’avait pas le moral pour supporter ses reproches.
Il commença à éplucher les quelques pommes qui se trouvaient sur la table avec la dague que lui avait prêté son père. C’était une petite lame, dont le manche était fait dans une sorte de matériau dur d’un blanc très pur et dont la partie tranchante était faîtes d’une matière assez étrange qu’il n’avait vu nulle part ailleurs sur l’île. Son père avait appelé ça du métal. Il lui avait dit qu’il l’avait eu il y a très longtemps, durant un voyage. Mais il ne lui avait jamais donné plus de détails. Le jeune elfe se perdit dans la contemplation de la dague et caressa les petites entailles sur le manche. C’était juste des traits sans queue ni tête qui ne devaient pas avoir de véritables sens, mais ils l’avaient toujours intrigué. Comme s’il avait leur signification sur le bout de la langue.
Il fut sorti de ses pensées par une pichenette sur le haut du front. Alessia venait de s’asseoir en face de lui. Elle se saisissait déjà d’un quartier de pomme, qu’elle avala sans plus de cérémonie. Elle avait remarqué son ami et elle savait parfaitement qu’il l’avait vue discuter avec le chef. Avec un sourire amusé, elle avala un petit pain qui avait eu le malheur d’être posé là puis se pencha sur la table avec un air de conspiratrice.

— Pose-moi tes questions, Den’, je sais que tu en meures d’envie.
— Dis-moi de quoi vous parliez ! Vous aviez l’air inquiet, est-ce que quelque chose va se passer ?

Il ne pouvait s'empêcher de sourire. Alessia était vraiment la seule qui ne lui faisait jamais de reproches sur sa curiosité, avec son père mais Dalir était vraiment à part des autres elfes de l'île. Et pour son amie, c'était principalement parce qu'elle était toute aussi curieuse et aventurière que lui, au grand damne du reste du village qui avait plusieurs fois dû partir à leur recherche quand ils s'enfonçaient un peu trop dans la Forêt plus jeunes.

— Du calme, tête de nœud. J’ai juste remarqué de la brume à l’Ouest et ça se dirige vers nos côtes, lui expliqua Alessia, c’est sûrement une tempête.
— Oh, je vois…
— N’ais pas l’air aussi déçu, se moqua-t-elle en voyant Denzal faire la moue.
— Je voulais de l’aventure, moi.

L'elfe rigola et repousse sa tresse vers l'arrière. Son bruyant éclat de rire attira l'attention de leurs voisins de tablée, qui ne firent même pas semblant de cacher leurs grimaces en les voyant. Denzal serra les poings. Après son échec de ce matin, il n'avait vraiment pas besoin de ça. Voyant sa détresse, Alessia posa sa main sur la sienne et chuchota :

— Je dois partir faire mon tour de garde et surveiller cette tempête, tu veux venir avec moi ?

Denzal savait que c'était très sûrement faux, une simple excuse pour s'éclipser du repas et lui éviter de continuer à sentir les regards sur lui, mais il était reconnaissant à sa meilleure amie de lui proposer cet échappatoire. Il hocha vigoureusement la tête et elle sourit devant son enthousiasme retrouvé. Ils se dirigèrent discrètement en direction de la forêt, la plus âgée en tête. Elle avait façonné deux lances parfaitement aiguisées dans un pin avant de s’aventurer dans les bois, au cas où ils croiseraient un ours ou un sanglier, et en avait tendu une à son meilleur ami. Ils marchèrent l’un derrière l’autre pendant une bonne heure avant de sortir de la forêt, arrivant sur les falaises qui surplombaient une des criques de l’île.
Denzal fronça les sourcils. Devant eux, la mer était calme, et il n’y avait pas de trace de l’épaisse brume que Alessia lui avait décrite. Aucun nuage ne masquait le ciel étoilé, qui éclairait l’eau d’un délicat éclat argenté. Ils virent une chouette passer devant eux en hululant, une souris entre les pattes. Tout était calme. Trop calme pour qu’une tempête se prépare.

— Mais… C’est impossible, elle n’a pas pu disparaître comme ça, s’exclama Alessia.
— Il semblerait que si. C’était sûrement juste passager… En tout cas, je pense que le village est en sécurité, pas de tempête à l’horizon.
— C’est un soulagement, alors. On est pas obligé de rentrer maintenant, si tu veux profiter un peu de la nuit…

Denzal hocha la tête et resta quelques instants à regarder devant lui. Il avait beau fixer l’horizon, il n’avait jamais rien vu au-delà de cette mer. Il repensa à la dague, rangé dans le fourreau qui pendait à sa ceinture, et à ces voyages dont son père ne lui avait jamais parlé. Il se demandait ce qu’il y avait après cette immense étendue d’eau. Est-ce qu’il y avait des gens comme lui, qui n’avaient pas de dons ? Il soupira en se détournant et rejoignit son amie qui l’attendait à l’orée de la forêt. Il préférait ne pas penser à tout ça, ou alors il allait de nouveau se sentir inutile.
Il marqua cependant un temps d’arrêt alors qu’il n’était plus qu’à quelques pas de Alessia. Quelque chose venait d’attirer son attention. Un nuage de fumée grise s'était échappé de la crique. Comme si quelqu’un avait allumé un feu de camp.

— Tu as vu, chuchota-t-il.
— Oui. C’est étrange, tout le monde était au banquet ce soir et je n’ai vu personne partir avant nous.

Les deux elfes échangèrent un regard entendu. Denzal raffermit sa prise sur sa lance et se lança sur le chemin escarpé qui menait à la plage, suivi de sa meilleure amie. Et c’est là qu’il le découvrit. Il marqua un temps d’arrêt, tant il était impressionné.
Là, sur le sable, se trouvait un bâteau plus grand que les embarcations de pêche qu’il avait toujours connues. Deux mâts immenses, recouverts de larges voiles blanches, se dressaient au milieu du navire. Juste à côté de la coque se tenait trois personnes, allongées autour d’un feu de camp.
Le cœur de Denzal s’emballa. Il y avait des étrangers sur l’île. Des personnes qui seraient peut-être comme lui ou qui auraient des réponses à ses questions. Il dévala la fin de la pente, manquant de trébucher sur des rochers tandis que Alessia tentait de le rattraper en lui chuchotant d’être discret.
Ce fut peine perdue, car la cavalcade du jeune elfe éveilla une des personnes allongées sur le sable. Et soudain, une immense vague s’abattit sur eux.

L'Espoir de Nounaïa : Denzal (T1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant