Chapitre XIV

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— J'ai chaud, se plaignit Merrigan en se rapprochant de Seelay, Capitaine, comment tu fais pour marcher sous cette chaleur ?

Seelay, qui marchait en tête aux côtés de Adel, tourna la tête vers son cadet en haussant un sourcil. La soleil arrivait bientôt à son zénith et voilà plusieurs heures qu'ils avaient quitté le village et qu'ils marchaient sans faire de pause. Il comprenait donc assez facilement que pour Merrigan, qui avait toujours vécu non loin de la mer dans la zone tempérée du repaire, le manque d'eau et la chaleur pouvaient devenir handicapants. Lui le vivait en effet plutôt bien, principalement à cause de son entraînement à l'armée. Il désigna d'ailleurs Bian du doigt, sans que ce dernier ne le remarque puisqu'il marchait quelques pas à l'arrière du groupe.

— J'ai vécu avec cette tête de mule et des Dragons pendant des années, je suis habitué à la chaleur. Mais c'est vrai qu'on arrive au point le plus chaud de la journée, on devrait peut-être s'arrêter ?
— Bientôt, lui répondit Adel en réajustant son keffieh sur son nez, j'aimerais trouver un point d'eau avant. On a besoin de remplir les gourdes et ça fera du bien à tes compatriotes.
— On va s'arrêter longtemps, questionna Denzal qui avait réussi à capter quelques brides de conversation.
— Jusqu’à demain, on repartira avant l'aube. C'est dangereux de marcher sous ce soleil.

Le sang-mêlé poussa un soupir frustré. Il était si pressé de retrouver son père qu'il eût du mal à encaisser la nouvelle d'un arrêt aussi long. Le paysage ne changeait jamais, vaste étendue de terre dure sans rien d'autre à l'horizon qu'une immense chaîne de montagne à leur gauche qu'ils monterait jusqu'à atteindre la Faille, et cette monotonie lui donnait l'impression qu'ils n'avaient pas avancé depuis leur départ du village. Son humeur n'échappa pas à Alessia, qui posa sa main sur son épaule pour le soutenir avant de chuchoter :

— Adel connaît le Désert, on ferait mieux d'écouter ce qu'il dit.
— Il n'y a que Merrigan qui se plaigne de la chaleur, répondit-il sèchement à son amie en croisant les bras sur son torse.

Denzal s'en voulut immédiatement d'avoir adopté ce ton en voyant la lueur blessée qui traversa le regard de sa meilleure amie. Son visage se ferma et elle relâcha son épaule en grommelant qu'il n'avait pas besoin d'être désagréable. Il tenta de la rattraper avant qu'elle ne s'éloigne afin de s'excuser mais trébucha sur quelque chose qui passait par là. Devant lui, une petite créature se secouait en tentant de se remettre comme il faut sur ses huit pattes et en le fixant de sa bonne dizaine d’yeux ronds et entièrement noirs. Il se redressa en poussant un cri légèrement effrayé, attirant l’attention des autres.

— Kukah ! Oh mince, elle a dû échapper à la surveillance de maman, s’exclama Adel en découvrant la scène.

Il s’approcha d’eux, un immense sourire aux lèvres. La créature sembla heureuse de le voir, puisqu’elle n’hésita pas un seul instant à escalader le bras qu’il tendit vers elle pour venir se caler sur son épaule. Le Mage la gratifia d’un sourire amusé et d’une petite caresse sur l’abdomen. Ce fut Alessia qui, incrédule, demanda la première :

— C’est quoi… ce truc ?
— Une aureoflava. Mon aureoflava. Je l’ai adoptée quand elle était encore petite, le nid où elle vivait avait été attaqué par un rapace. Elle est adorable, hein ?
— C’est surtout une grosse araignée, constata la jeune elfe.
— Les légendes racontent qu'il en existe de plus énormes dans la Faille, alors n'insulte pas ma Kukah. Quoiqu'il en soit on est trop loin du village pour la ramener, alors continuons.

Le Mage se remit en marche, Seelay et Merrigan sur les talons. Avant que Alessia ne reprenne sa route, Denzal attrapa son poignet. La tête basse, il bredouilla :

— Je suis désolé de t'avoir parlé comme ça. Je te demande pardon…
— Pardon accordé. Je sais que tu es pressé de revoir ton père, Denzal, mais on doit voyager prudemment. D'accord ?
— Oui !

La jeune elfe lui lança un sourire éclatant avant de saisir son bras et rejoindre Zale, qui marchait un peu derrière le groupe de tête. Il se laissa entraîner en rigolant, tentant d'oublier ses sombres pensées au moins pendant un court instant.

~~~

Le silence du Désert était apaisant. Pour quelqu'un qui avait toujours vécu avec les pensées des autres dans sa tête, Bian ne pouvait qu'apprécier cette absence de bruit. Il leva la tête vers le ciel, observant les étoiles qui l'illuminaient. Il entendit un bruit de pas derrière lui mais ne prit même pas la peine de se retourner pour savoir qui s'asseyait contre son dos. Il pourrait le reconnaître entre mille. Il soupira et se décolla de Seelay avec un grognement, ce qui provoqua un rire chez le pirate.

— Oh allez ! Laisse-moi me coller contre toi ! Il fait froid et tu es tout chaud, souffla-t-il à son oreille.
— Va avec les autres près du feu, grogna le Dragon en poussant son visage loin du sien.
— Je préfère ta chaleur, Lieutenant.

Bian le repoussa plus franchement cette fois, se redressant et se tournant vers lui. Il dégaina dans le même mouvement son sabre, le pointant sur le cou de l'Aegirien. Il avait envie de lui faire ravaler son sale petit sourire de séducteur, et pourtant il ne pouvait empêcher son cœur de se serrer dès que ses magnifiques yeux bleus se posaient sur lui.

— Arrête. Arrête de faire comme si rien n'avait changé. Comme si tu ne m'avais pas laissé seul là-bas.
— J'avais mes raisons.
— Tes raisons de t'enfuir seul ?! Tu m'as abandonné alors que tu aurais très bien pu me faire venir avec toi !
— Bian…
— Tu m'as abandonné, Seelay ! Alors arrête de faire comme si rien n'avait changé… parce que tout a changé.

Seelay repoussa la lame du bout des doigts et se releva. Son sourire avait disparu, la lueur amusée de ses yeux aussi. Son visage était désormais sérieux et son regard résolument planté dans les iris rouges qui le fixaient avec tant de souffrances. Il fit un pas en avant, colla son torse contre celui du Dragon qui se soulevait au rythme de sa respiration rapide. Il approcha sa main de ses cornes, s'arrêtant à quelques centimètres de ces dernières, et attendit son autorisation pour continuer.

— Non. Échanger nos pensées ne changera pas ce qui c'est passé. Tu m'avais promis de toujours rester avec moi, tu m'as trahi. Et tu as trahi ce que nous éprouvions l'un pour l'autre.
— Est-ce que ton père t'as… ?
— Ne. Me. Parle. Pas. De. Ce. Connard.

Il y eut un long silence durant lequel ils ne firent que se regarder. Bian finit par écarter son ancien amant et passa devant lui pour rejoindre le campement. Sans se retourner, il chuchota :

— Toi et moi, Seelay, c'était tout ce que j'avais, putain. Et tu as tout détruit. Te voir faire comme si de rien était… c'est ça qui me fait le plus de mal.

Il regagna le campement sans un mot de plus. Tout en priant pour que Seelay n'ait pas entendu les larmes qui coulaient le long de ses joues dans sa voix.

L'Espoir de Nounaïa : Denzal (T1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant