1. Tristan

170 23 25
                                    

média : Laurence Anyways, Xavier Dolan (2012)

« They all think he lied, but the Lord knows he tried / To be something that they all would adore / They hate what he is and they hate what he's not / But hate is nothing new you will see / From the grave to the cot, how I wish that I forgot / That the boy in the black dress is me » YUNGBLUD, The Boy In The Black Dress

tw : dysphorie, mention d'idées suicidaires

Je pensais pas que ce serait possible de me réveiller, de coller mon corps contre un autre corps et de me blottir contre lui au lieu de m'enfuir. J'aurai pas cru pouvoir trouver quelqu'un sans avoir besoin de changer. 

Quand j'étais ado je croyais que j'étais trop bizarre pour une relation normale. Et les autres aussi le croyait. On me le faisait sentir. 

J'enfonçais mon casque sur mes oreilles, enfilais un sweat à capuche et dessinais sur mes cours quand j'étais pas endormie. J'étais une looseuse. J'avais jamais eu personne. Ça me rendait triste. Toujours eu l'impression de passer à coté de ma vie à cause de ma personnalité et envie de tomber amoureuse mais sûre qu'aucun gars voudrait de moi. Il y avait les belles filles populaires qui sortait avec les beaux garçons populaires, celles qui n'en avait rien à foutre et les comme moi, qui fantasmait en silence. 

Une fois avec Will et débarrassée de mes démons, j'avais rien changé à mon corps ou à ma tête mais je vivais l'histoire d'amour dont je rêvais. Il s'accommodait à mes comics, cartoons. On était fiers de plus êtres les nerds ou les outsiders dont tout le monde se moquait mais d'aimer nos trucs sans honte. Les brutes d'écoles étaient loin derrière. J'enchainais les conventions de pop culture avec mon petit-ami comme d'autre couple se rendaient en robe de soirée et smoking dans des restos chics. J'avais trouvé ma place. Une fille un peu différente avec un garçon un peu comme elle. 

J'avais cru, en tout cas. 

Mais ce matin, Will dort et je suis occupée à détester mon reflet depuis la salle de bain. Il me perturbe comme toutes les autres fois. 

Je sais pas trop si on me considère comme une belle fille. Je pense pas. J'ai jamais été intéressée par les longs cheveux et soyeux, les faux ongles, le maquillage et les vêtements serrés. Mon apparence ne retranscrit pas de féminité. Combiné au fait que j'ai pas eu personne avant mes vingt-deux ans, mes proches ont cru que j'étais lesbienne pendant toute mon adolescence. 

Pour pas penser à ce que je refoule je recommence à me questionner là-dessus. Peut-être que c'est qui m'empêche d'être épanouie ? Mais je sais que j'aime Will comme j'ai jamais aimé personne et que j'ai jamais voulu une fille comme je l'ai voulu lui. 

Je connais la vraie réponse, dans le fond... mais j'ai trop peur. Je me le dis même pas dans ma tête.

Je ferme à clef, enlève mon t-shirt et regarde la courbe que font mes hanches, puis mes seins, mon visage, mes poignets... tout mon corps y passe jusqu'à ce que j'ai plus envie de vivre dedans. 

Je pensais que ça partirai avec l'adolescence, que c'était le genre de truc qu'on devait apprendre à accepter. Que c'était comme trouver un copain, un appart, un job : ça finirait bien par arriver. Je finirai bien par être me reconnaitre dans ce corps. Mais non. Ça marche pas. 

Deux mois après s'être rasé la tête elle me tire dans l'appart avec l'air de vouloir parler. Mes potes ont blagué en disant qu'elle avait trouvé mes planques de weed ou les textos de ma maitresse, j'ai envisagé qu'elle suspecte ce genre de truc un moment et puis j'ai commencé à inquiéter pour elle. Je suis en psycho, j'ai peur pour les gens qui se changent de coiffure et commencent à se débarrasser de toutes leurs affaires. Elle a filé des cartons remplis à sa meilleure pote il y a une semaine. 

Elle fait les cent pas alors que me s'assieds sur le lit. Pour une conversation sérieuse faudrait peut-être le canapé mais il est squatté par des cartons de DVD, de jeux vidéos et de manettes qu'on a toujours pas rangé depuis le déménagement. 

« Qu'est-ce qui va pas ? »

Elle continue de marcher d'un bout à l'autre de l'appart. On nous apprends à ne pas empêcher les mouvements de stress pour laisser les patients s'exprimer, mais là c'est ma copine et c'est insupportable. 

« Tu peux tout me dire. Je peux tout entendre. Te force pas maintenant si tu es pas prête...

- Prêt. »

Je relève la tête. Je pensais pas qu'elle parlerait. Et je comprend que je ne vais pas pouvoir me comporter avec elle comme avec un potentiel patient. Mes émotions vont me trahir. 

« Quoi ? 

- Prêt. Je suis prêt à te dire la vérité. Et je suis désolé. S'il te plait, laisse-moi parler jusqu'à la fin. »

Je hoche la tête. 

« Je suis un garçon. Je suis transgenre. Mais je suis... toujours la même personne que tu as connue. »

On se regarde dans les yeux. J'ai l'impression que ça dure des siècles. Je ne sais pas comment réagir à un truc pareil. Je m'en veux de faire durer le silence et de voir des larmes couler quand ses paupières se ferment. Je suis en train de lui faire peur. 

« Je peux... Je peux te laisser du temps si tu veux, on peut même rompre... Je peux aller faire un tour une heure ou une semaine même, te laisser réfléchir. »

Sa veste est déjà dans sa main. Je l'imagine trainer dans les rues avec ces foutues larmes au bord des yeux. Je me souviens de comment mon coeur s'est serré quand j'ai imaginé qu'on allait se séparer quelque heures avant. Je veux pas qui lui arrive quoi que ce soit de mal. Qui sait ce qu'on peut faire quand on se croit rejeté. Moi, je ne veux pas penser que la personne que j'aime pleure à cause de moi. 

Un peu en retard, je lui attrape la main, referme la porte d'entrée. 

« Reste. »

« J'ai pas besoin de temps. 

- Ta copine viens de te dire un truc de dingue au risque de briser ton couple. Je comprendrais que tu ai besoin de temps. Tu es hétéro, je peux pas t'offrir ce que tu veux, le couple normal...

- Mon copain viens de me dire qui il était vraiment pour la première fois. Je ne suis pas amoureux de toi parce que tu es une fille. Je suis amoureux de toi parce que j'aime ta personnalité, ton rire, ton courage, on humour... et ton corps un peu aussi, j'avoue, mais je peux m'adapter si tu veux le changer. Et si je suis tombé amoureux d'un mec, même sans le savoir, alors peut-être que je suis pas si hétéro que ça. Mais c'est pas grave. Je veux pas "un couple normal", je veux un couple où tout le monde vas bien. »

« J'ai cru que tu allais me dire que tu étais suicidaire, aujourd'hui. J'ai cru que tu allais te faire souffrir. J'ai eu vraiment vraiment peur. Mais je pense qu'on peu surmonter ça et je suis content que tu me fasse assez confiance pour m'en parler... merde, faut que j'arrête je suis vraiment en train de me transformer en psy, c'est insupportable. »

Il pouffe, me serre dans ses bras. Je ne sais pas combien de temps ça dure. Mais je ne l'ai toujours pas lâché quand je lui demande s'il a choisit un autre prénom et qu'il me répond :

« Tristan. »

les apocalypses arrivent à tout les mondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant