Ô douceur infinie de tes lèvres rosées,
Le souvenir brûlant de ce dernier baiser,
Puis dans l'obscurité, un ultime cadeau :
Tu m'offris, dans la nuit, au fond de ma détresse,
Délicats et muets témoins de ta tendresse,
L'éphémère bonheur de tes doigts dans mon dos.
Enfin, Nyx m'emporta jusque dans son royaume,
Pour des rêves bercés par de sombres idiomes,
Puis se vit remplacée par sa fille, Hemera,
La héraulte d'un jour vécu loin de tes bras.
Par-delà le Léthé, les spectres du passé
Murmurèrent trop fort au creux de ton oreille
Des mots jetés aux flots en fragile bouteille,
Qui revinrent alors, l'enveloppe cassée,
Comme une brise amie en quête d'idéal,
Dans le chant de l'écume ou en pierres d'étoiles.
Avant même l'éveil de l'Aurore aux doigts roses,
Mon destin s'effondra à la vue de ta prose :
Je reçus de ton port la mordante missive
Comme un ultimatum pour en quitter la rive
De suite relever l'ancre de mon vaisseau,
Puis, avisant le trou béant au fond du seau,
Un frisson parcourut mon échine trempée,
D'une onde que jamais je ne sus écoper.
En voyant rétrécir les reliefs de la berge,
Le navire se fond dans l'eau qui le submerge
Et sur ton pavillon, en haut du mât, en berne...
Mon cœur que je flagelle avec un Morgenstern.
Je me maudis alors, d'avoir versé au soir,
Quelques perles salées, sanglots prémonitoires.
Et ne pus conjurer ni retenir la crainte :
Celle d'être privée d'une dernière étreinte,
La peur de n'être rien, devenir étrangère,
Que mes statues d'airain retombent en poussière,
De sentir dans mes plaies remuer le couteau,
Flétrir mon souvenir et brûler mes photos.
Un animal blessé est aveugle au savoir :
Il ne peut concevoir, offert en sacrifice,
Le poids de tes remords en coupant les amarres,
Ces choses qu'on oublie en haut du précipice
Qui reviennent pourtant, un pied au bord du gouffre,
Que l'on ne veut pas voir, qu'on oublie car on souffre.
Débordée par l'affect sans cesse ressassé,
Mon âme se trouva complètement glacée :
Sous la protection de cette étrange égide,
Se terrait un esprit dans une coque vide,
Esquif à l'abandon, comme si les transports,
N'osant l'accompagner, étaient restés au port.
Dans la rue qui hurlait, deux tristes silhouettes,
Quelques mots échangés à l'ombre d'une gare,
Furtifs, presque honteux, à l'abri des regards,
Et que tu ponctuas de hochements de tête.
Peut-être, les regrets à cet instant fatal,
Pesaient déjà trop lourd pour tes cordes vocales.
Lorsque je t'en priai d'une tremblante voix,
Tu me laissas t'étreindre une suprême fois.
Hébétée, face au fait que je ne sus admettre,
Je te vis t'éloigner, tourner, puis disparaître.
Et je demeurai seule et toute à mes regrets
Dévastée, sans savoir si je te reverrais.
Puis, hélas, vint le temps du trajet du retour
Vers le septentrion et loin de ton amour.
En attendant la nuit et que le train m'emporte,
Tu m'avouas pourquoi tu me fermais ta porte
Las ! tu ne pouvais pas, pour étancher ma soif
Atteindre de ton eau le haut de ma carafe :
Et jamais, dans tes yeux, l'éclat de tes offrandes
N'eussent pu, d'affection, contenter la demande.
Cette seule raison n'était fatalité,
Et nous l'eussions pu, toutes deux, ajuster
Sans cet autre motif de loin plus important,
Et plus dévastateur : la contrainte du temps.
Les doutes éprouvés lors de notre rencontre,
Furent insuffisants à retenir ton cœur
Insouciant, ignorant le cadran de la montre,
Qui, se précipitant pour goûter au bonheur,
En oublia les liens, qui retenaient encore
Une part de l'espoir et de l'âme et du corps.
Contre un destin cruel, face à l'affliction,
Je ne puis pas lutter, de mon septentrion.
Et depuis, chaque jour, aux nuages austères,
Rien ne vient relancer la marche de ma chair :
Actrice infortunée d'une tragédie grecque,
Pleurant pour raviver une fontaine à sec,
Je ne suis à présent que l'ombre de moi-même,
Si loin de ta douceur, si loin de tes Je t'aime :
J'arpente cent contrées, niche sur mille toits,
M'abreuvant de ce fiel, en flots interrompus.
Et mène autant qu'aimer et que faire se put
La barque désolée d'une autre vie sans toi.
Bannie de mon royaume et loin de ma princesse,
Je fuis dans le sommeil ou je fuis dans l'ivresse...
Ci-gît, au fond du lit, la pathétique autruche
Qui passe ses journées, entourée de peluches,
Comme si leur contact lui pouvait ramener
Un fragment de toujours pour des espoirs fanés.
Je n'ai pas su toucher à ma valise, ouverte,
Affalée sur le sol, abandonnée, inerte,
Et près de mon bureau, ma dernière vêture
Observe, du dossier, le deuil de mon futur.
Luttant contre moi-même et cherchant un salut,
Puis repoussant en vain l'envie de n'être plus,
Accablée de remords chaque fois que j'écris,
Mes murmures perdus se transforment en cris.
Trempant ma triste plume aux soupirs que j'ai tus,
Je couche sur papier la douleur qui me tue :
Esclave tourmentée d'un noir amphitryon,
Je me vis, sourde à tout, dans ma sidération,
M'entendre signifier la fin de notre histoire.
On se trompe, on regrette, et on comprend trop tard...
Impossible, à présent, d'affronter mon reflet :
Un être sans saveur, le regard vide, et laid,
Oiseau au bec serré et aux plumes roussies,
Qui, sans cesse, refait le monde avec des « si ».
Au pied de cette croix, couronnée de chardons,
Au ciel, à nous, à toi, je demande pardon,
De n'être à la hauteur et de t'avoir déçue,
Pour maintenant gémir : « Putain, si j'avais su,
Je t'aurais contemplée, à la faveur du soir,
Pour graver chaque trait au fond de ma mémoire,
Ta peau contre ma peau, ton rire et ton parfum,
Temples abandonnés de mes espoirs défunts » ;
De ne t'avoir prouvé de toutes les manières
Ô combien je t'aimais et combien j'étais fière,
Les joues toutes rosées et presque cramoisies,
De savoir que c'est moi que tu avais choisie.
Tu étais l'arc-en-ciel dissipant mes orages,
Toi qui vins m'arracher aux murs de ma prison,
J'aurais voulu toujours voguer dans ton sillage,
Sur une mer amie couleur de l'horizon.
Mais les Moires, depuis, ont sectionné le fil
De notre vie à deux. A présent, qu'en est-il ?
Devant demi-déesse, à présent saltimbanque
Suis-encore quelqu'une, est-ce que je te manque ?
Et cette amour perdue, ma joie et ma lumière :
En suis-je devenue seule dépositaire ?
En posant la question, à savoir je renonce,
Car je crains le silence autant que la réponse.
Lorsque, sur le carnet, s'attarde le calame,
L'encre se voit troublée, aux larmes de mon âme
Qui, en flots infinis, sourdent de la blessure ;
Au toucher du bijou toujours à mon poignet,
S'éveille le rappel du miel qui me soignait :
Le regard qui protège et la main qui rassure.
Madeleine de Proust, sur mes draps, ton odeur
D'oniriques pensées se fait l'ambassadeur
Et, au creux de mon cou, Darky et Camomille
Ravivent un instant le feu de mes pupilles.
Apercevant au loin une faible lueur,
Lorsque mon palpitant, d'une longue torpeur,
S'extraire désira, dans son écrin de roche,
Timidement, j'osai mordre dans ta brioche.
Une relique, presque, et que j'ai tant rêvée,
Diffusait, dans ma bouche, un goût d'inachevé.
Nectar ou ambroisie, qu'importe de manger,
Lorsqu'il n'y a personne avec qui partager ?
Ô supplice, tourment, neurasthénie profonde,
Deux flammes endeuillées qui, parfois, se répondent :
Envol de quelques mots jusques à Jéricho
Qui, traversant l'éther, reviennent en écho.
L'espace d'un instant et de quelques minutes,
Tu es venue m'aimer, défiant Belzébuth
Et tu m'ouvris ton cœur, en boîte de Pandore,
Criant « je me déteste autant que je t'adore ».
Tu t'en vas, tu t'en viens, souvent sans prévenir,
Laissant pourtant en moi de si beaux souvenirs.
Cependant, chaque fois, mon cœur se désagrège
Quand ta trace s'estompe et se couvre de neige.
Et même dans l'obscur, sous mes paupières closes,
Je cherche au firmament notre nuage rose,
Comme une naufragée s'agrippe à une planche,
L'éclat de ton sourire et de ta peau si blanche,
Ô songes précieux ! car, à peine levée,
Ces bribes de bonheur dont je me vois privée,
Flottent, comme hésitant, au-dessus de mon lit
Puis, quittant mon chevet, retournent à l'oubli.
Je te cherche, m'amie, dans chaque ombre pourtant,
Un désir qui n'admet la morsure du temps,
Dans chaque souvenir qui, marqué de ton sceau,
Rappelle ta tortue et tes coups de pinceaux,
Ton image à jamais gravée sur ma rétine,
Oui, je t'attends en vain, complètement crétine...
Naïve jusqu'au bout, je cultive l'espoir
Que tu viennes un jour me chercher dans le noir
Que tu puisses m'offrir, en me tendant la main
De marcher avec toi vers d'autres lendemains.
Si je puis renoncer aux feux de la romance,
Même si ce n'est plus à mon chant que tu danses,
Lorsque s'apaiseront tes transports indomptés,
Je t'en prie, laisse-moi rester à tes côtés.
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Carmen Anyae
PoetryJeune étudiante, Julia Anya a choisi la plume comme clef d'un Paradis perdu entre la Terre et les Etoiles, où se mêlent poésie, passion et désir de partage. Amie des mots depuis sa plus tendre enfance, elle traite principalement dans ses vers d'insp...