17. Pine d'huître

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Cela faisait longtemps que Tine, de son vrai nom Nicolas Soudierac, n'avait pas eu d'envies de meurtre. De vraies envies, de celles qui sonnent comme des appels. La routine était passée par là.

En partie à cause de la perte progressive de sa flamme hommicidiaire, il avait accepté de prendre en charge la coordination d'un des nombreux pôles de tueurs à gages. Ainsi n'était-il pas complètement dépaysé. Il restait dans la partie, en terrain connu. Seules ses fonctions s'étaient étendues et diversifiées. Il lui arrivait bien de temps à autre d'exécuter un contrat, quand il n'avait personne de fiable à disposition, ou lorsque le client le demandait, lui, et personne d'autre. Ses tueurs semblaient l'avoir oublié mais Tine avait connu son heure de gloire en son temps, quand tuer n'était pour lui, non pas une seconde nature, mais la nature tout court.

Nombre de ses commanditaires savaient qu'il avait raccroché les holsters, mais Tine avait encore parfois du mal à dire non aux personnes avec lesquelles il avait tissé de véritables liens de confiance. Et même si ces liens se défaisaient instantanément quand tout partait à vau l'eau, il ne fallait pas s'étonner outre mesure. C'était le boulot qui voulait ça.

Il tuait donc encore mais cela restait ponctuel, anecdotique. Et froid, toujours.

Aujourd'hui, Tine se voyait plutôt comme un gestionnaire, un coordinateur nécessaire à l'équilibre criminel. La constitution des pôles s'était presque imposée d'elle-même. Il avait fallu réagir vite. Après l'assassinat de JFK, plus rien n'avait été pareil. L'image de marque des tueurs à gages, quoiqu'on en dise, avait pris un sérieux coup. Où allait-on si le moindre ministre voulant devenir chef d'état à la place du chef d'état s'instituait lui même tueur occasionnel ? Si la moindre ménagère étouffait son mari infidèle à la seule force de ses bras ? Allons, un peu de sérieux. Comme il ne se privait pas de le dire à titre de promotion lors des journées portes ouverte de la profession – sur invitation et parrainage –, un TAG garantirait toujours discrétion et disculpation, pour peu qu'on veuille y mettre le prix. Sur ce dernier point, les pôles avaient également contribué au nivellement des tarifs. Il n'était plus nécessaire de faire le tour des tueurs avant de faire son choix, ce qui pouvait d'ailleurs générer une perte de temps parfois fatale. Tine avait encore en mémoire ce restaurateur zigouillé par le concurrent qu'il projetait lui-même d'abattre, tout ça pour avoir hésité entre trois tueurs dont les aptitudes n'étaient tout compte fait pas si différentes.

Le métier avait évolué dans le bon sens. Maintenant, un catalogue détaillé et mis à jour régulièrement permettait de faire son choix en fonction des spécificités et des spécialités des uns et des autres. Tout client pouvait aussi payer en plusieurs fois s'il le souhaitait. Le trente fois sans frais était devenu courant.

Seulement voilà, cet équilibre atteint de haute lutte risquait de se voir remis en cause par un grain de sable dont il n'aurait jamais soupçonné l'existence : un tueur tueur de tueur. Une abomination, un loup dans la bergerie. Inimaginable !

Depuis l'appel de Dom, il s'était naturellement empressé de relayer l'information. D'elles-mêmes, les personnes qu'il avait joint s'en étaient fait le relais auprès de leurs confrères. Et chacun d'entre eux s'étaient mis dans la tête de l'appeler pour lui demander confirmation.

Hé Tine, c'est vrai c'qu'on raconte ? C'est quoi c'te blague, on a jamais vu ça ma parole !

'lut Tine. Dis, je viens d'avoir Marco au bout du fil et y m'a dit que...

Putain, Tine, j'ai les foies ! Ça va être moi le prochain ! Je le sens, tu m'entends, je le sens ! Ils en ont tous après moi, me fais pas croire que t'as pas remarqué ?

Nicolas, vous savez combien j'aime mon boulot, mais franchement, de vous à moi, ce n'est pas très bon pour nous, tout ça. Ne pensez-vous pas Nicolas, de vous à moi, n'est-ce pas...

Des mecs qui assurentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant