23. Sans dessus dessous

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Nelson écrasait l'homme de tout son poids. Il n'osait pas bouger. Attendait que la police arrive.

Rouge d'émotion, de sueur, de douleur et de peur, il avait fait place nette autour de lui. A trois bons mètres de distance, maintenus par un périmètre de sécurité imaginaire, reliés en lui par un filet de sang - son sang - s'écoulant sur le sol, des gens se bousculaient dans le but d'accéder à une place de choix pour ce spectacle peu ordinaire. Certaines personnes criaient aussi, mais il ne les entendait pas. Il était là, deux trous dans le corps, avachi sur un homme dont il ne connaissait que le nom avant même de l'avoir aperçu. Là, mais aussi très loin. En lui.

Nelson s'était toujours senti comme un migrant. Comme un homme de la fuite perpétuelle, qu'il s'agisse de symboles ou de personnes. Il avait quitté Margaret une fois la date de leur mariage fixée ; Il avait embarqué pour la France après que son père lui eût dégotté un travail digne de son rang ; il avait laissé s'étouffer dans l'œuf une quantité non négligeable d'amitiés naissantes, appréhendant que les liens tissés ne finissent par se serrer au point de l'étouffer. Nelson ne pouvait supporter de vivre sous le poids des obligations, quand bien même celles-ci lui étaient bénéfiques. Seule sa vie à Guène lui avait permis d'apprécier une certaine stabilité. Là au moins, il ne devait rendre de comptes à personne.

Du brouillard opaque qui voilait sa vue et qui ne manquerait pas de gagner sa conscience, Nelson réalisa combien les événements des dernières quarante-huit heures s'étaient précipités, comme une représentation condensée et accélérée de son existence d'électron libre.

De campagnard, il était devenu citadin. Puis il s'était enfui dans l'espoir de retrouver celle dont il devait sauver la vie et, pour finir, du rang d'anonyme voici qu'il venait de se hisser à celui de héros.

Oh, my Hero !

Il s'imagina Cécile Tragonné lui souffler ces mots d'une voix de jeux vidéos et sourit avant de sombrer.



Il n'était pas mort.

De la projection se déroulant dans sa tête, nul ne pouvait être le spectateur. Sans doute même ne s'en souviendrait-il pas une fois ses esprits recouvrés. Mais le film était là, comme une bouée à laquelle il s'accrochait avant que les secours n'arrivent.

Un film sur bobine abîmée. Certaines images étaient nettes, d'autres moins. Il y avait parfois des fautes de raccord et certaines zones étaient trop sombres pour être discernables. Mais ces images existaient. Elles étaient justes déformées par l'esprit de Nelson et par le travail de retranscription qu'il s'imposait, de manière à se donner le beau rôle en certaines occasions.


[INTERIEUR NUIT] - UN APPARTEMENT DELABRÉ.

Nelson se réveille sur un canapé éventré. Une ampoule nue diffuse une faible lumière dans l'espace qu'il occupe.

Nelson se masse les tempes comme s'il avait mal à la tête. Des sonneries de téléphone et des voix se font entendre d'une pièce mitoyenne.


DOM : Merde, Tine ! On n'a pas le choix, il faut arrêter Folco !


TINE : Quel sens logique, ma parole ! Et on fait comment à ton avis ? Tu te doutes bien que...


Une sonnerie de téléphone. ABBA. Take a chance on me.


Des mecs qui assurentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant