Solitude interdite

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La solitude était illégale dans cette mégalopole du XXIe siècle. Il y avait bien sûr parfois des corps isolés, assis dans le métro, marchant seuls dans la rue, mais tous étaient tenus de rester en communication avec quelque chose ou quelqu'un. Un homme isolé avait ainsi toujours les yeux rivés sur son écran de téléphone tactile, échangeant des messages ou parcourant quelque réseau social. On n'aurait jamais vu un individu solitaire dans la rue sans qu'il garde un téléphone collé aux oreilles ou sous les yeux, sous peine d'amende, voire pire. Un être reclus était toujours tenu de se donner une contenance. Sans cette contenance, l'entourage s'inquiète, car : « qu'est-ce qu'un homme isolé ? » s'était interrogé le gouvernement. Un homme isolé, c'est un homme qui pense, qui se prête à l'introspection. Il en résulte forcément le doute et la remise en question. L'inconstance, c'est dangereux. L'isolement devient synonyme de danger. On ne peut rester seul sans éveiller de sentiments négatifs. On se doit alors de se donner une contenance, parce que la personne seule ne se contient pas elle : elle se répand. Et se répandre, c'est sale, c'est incontrôlable, et cela fait peur. C'est une porte ouverte à l'inconnu qui appelle à la fuite. La société préfère garder ses citoyens emprisonnés.

Cette loi n'obtenait pas l'unanimité. Il existait des réseaux militants. John Poix, un résistant en faveur du droit à la solitude, dirigeait le plus connu d'entre eux. Son combat ne provoquait néanmoins pas beaucoup de remous dans cette grande cité puisqu'il le menait seul.

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