Le président 

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— Il est temps de jeter un œil sur la popularité du président, annonça le présentateur du journal télévisé au son de la samba endiablée qui illustre l'émission.

Pas un jour ne passait sans un sondage de popularité. Une armée de statisticiens se prêtait à des microtrottoirs et à des appels continus vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour éviter de rater la moindre turbulence dans l'opinion publique. Il s'agissait de noter en permanence toutes les fluctuations d'avis de chaque individu :

— Monsieur, Monsieur ! crient-ils en courant après les sondés, que pensez-vous de notre président ? Et maintenant monsieur, que pensez-vous de lui maintenant ? Et là ? Attendez, encore une dernière fois ! Et maintenant ?

La minute d'après ne sera pas forcément la même pour tel ou tel sujet. La plupart des électeurs restaient constamment connectés à la chaine Élysée TV et leurs appréciations évoluaient en direct. Ils ne rataient pas une seule des déambulations du président le long des couloirs de l'Élysée grâce à la Gopro fixée sur son front.

La chaine qui retransmettait ces sondages se trouvait en effervescence constante devant la cascade des données collectées. Immédiatement compilés, analysés, testés, les échantillons représentatifs nourrissaient des infographies sans limites qui défilaient devant un présentateur à la frontière de l'apoplexie :

— ...la cote du président a augmenté de 22 points en une heure pour atteindre 48 % d'opinions positives, son meilleur score depuis 10 h 53 ce matin alors qu'il jouait à lancer la balle à son chien, une action humanisante généralement appréciée des électeurs. Cette très forte progression de l'approbation de l'action du chef de l'État - qui, je vous le rappelle, enregistrait une forte baisse hier après-midi après son entrevue jugée inutile avec le président américain (-21 points) - eh bien, cette très forte progression lui permet de repasser au-dessus de 40 %. C'est une première depuis près de trois jours. Une tendance que l'on peut prévoir stable alors que le président se trouve actuellement à son bureau, situation sans risque sur l'évolution du taux de satisfaction qui, si l'on en juge par... Mais... Aïe ! Nous observons à l'instant que le président s'apprête à faire une demande à sa secrétaire. On connait sa façon sèche de s'exprimer à son employé, et cela déplait généralement à l'opinion publique, et nous constatons les effets immédiats si l'on jette un œil au tableau de bord IYOP/Fitrucal. Le président est en train de perdre son avance : -30 points en quelques secondes, une avance qui lui aurait été grandement bénéfique au vu des élections qui ont lieu dans deux ans et trois mois, mais il semblerait que l'on puisse désormais tabler sur des courbes négatives pour...

Le président élu, en sueur, essayait de se gratter le front. Le scratch de la caméra recouvrait ce dernier et faisait le tour de sa tête. Il ne se satisfit alors que d'un tapotement énergique sur le crâne pour soulager sa démangeaison. Il courut à droite et à gauche, et les images retransmises sautillèrent à son rythme en ne ratant aucun de ses souffles de marathonien asthmatique. Il n'a le droit d'éteindre la diffusion que lors de son passage aux toilettes. C'est donc dans cet espace que son équipe de communication l'attendait pour le coacher sur son comportement. Ils étaient quatre autour de lui, armés d'oreillette Bluetooth, d'iPad et de Notepad. Le président baissa son pantalon, s'assit sur le siège et écouta ses conseillers qui s'agitaient en tous sens pour lancer une salve de recommandations :

— ...bien, concentrez-vous sur votre avance d'hier : elle...
— ...douze points peuvent se rattraper facilement. Je vous ai prévu un entretien sur...
— ...fini le discours ! Je vous conseillerais d'insister sur les valeurs de fraternité, et...
— ...Je vous conseille ce papier toilette molletonné double épaisseur. Deux feuilles devraient...
— ...à dix-sept heures trente au plus tard, vous devriez encourager Martine devant la caméra...

Entre ses conseillers et ses entrailles tordues, le président ferma les yeux pour tenter de faire le vide. Il entama son mantra :

— Je suis une star, je suis une star... Je suis aimé parce que je suis aimable... Tout le monde m'aime... Tout le monde m'aimera... Je suis une star... Je suis prêt, je suis déterminé, je suis la République et je mène ce pays vers le progrès social, la paix et la dignité... Je suis une star !

Chasse d'eau. Caméra frontale allumée. Le marathon reprend.

Solitude interdite et autres histoiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant