Bien que né avec les gênes de l'hypersensibilité gravitationnelle aux masses humaines, Peter ne développa les premiers symptômes de l'HyGMaH que vers seize ans.
Cela commença par ses membres les plus flasques et les plus légers. C'est pourquoi, après une session d'éducation physique et sportive, quand ses camarades virent le sexe de Peter se tendre vers son voisin de douche, sa réputation était faite. Lui-même a longtemps cru être homosexuel.
Il vivait aujourd'hui dans une maison isolée, au milieu des bois, à distance sécuritaire de tout potentiel gravitationnel de masse, c'est-à-dire à des dizaines de kilomètres de toute présence humaine.
Il comprit sa condition au fur et à mesure de sa puberté. Après son sexe, ce fut des picotements dans le bout des doigts, puis ses oreilles qui tiraient, ou ses paupières qui semblaient vouloir s'arracher de son visage en direction de la personne la plus proche. Le moindre contact humain lui provoquait des douleurs déchirantes à l'épiderme.
Sa vie d'ermite en avait fait un homme d'aspect solide. Mais dès qu'un individu s'approchait de trop près de sa zone, il en ressentait les effets sur toute sa peau et il reprenait cette allure de garçon paniqué à la sensation de ce corps qui tentait de lui échapper. Il se cloitrait alors, puis, une fois en sécurité, il lançait une alarme sonore qui retentissait aux quatre coins de la forêt : « Alarme ! Alarme ! Vous entrez dans une zone de quarantaine. Veuillez faire demi-tour immédiatement sous risque de contamination mortelle. Alarme ! Alarme... »
À vingt ans, son état devint critique. De tempérament effacé, il avait traversé le collège et le lycée comme un caméléon. Il se raccrochait toujours à l'avis des autres et préférait plutôt ne pas prendre position. Se sentant incapable de s'affirmer, il prit la décision de s'engager à l'armée. Quitte à être un suiveur, autant l'être jusqu'au bout et s'éparpiller dans une masse commune jusqu'à l'effacement individuel. Il pensait naïvement que combattre son mal par le mal pourrait le faire évoluer, que c'est dans la masse seulement qu'il pourrait se libérer de ce trouble du contact. « Plus les hommes se serrent fortement les uns contre les autres, plus ils sentent surement qu'ils n'ont pas peur l'un de l'autre », avait-il déjà lu. Cela provoqua sa première crise. La proximité de centaines de corps solides et de personnalités affirmées déclencha l'irréversible. Dès qu'un gradé passait à proximité, son épiderme s'en trouvait attiré comme un aimant. Son visage devint hypersensible à l'attraction. Sa peau subit le même phénomène que l'eau lors des marées : elle fluctua, s'étira, se retira en fonction du passage des masses humaines à proximité. Ce qui avait été vivable jusqu'à présent devint insupportable. Il sentait sa peau à deux doigts de s'arracher.
Il avait l'impression que ses globes oculaires allaient tomber à l'intérieur de son crâne, il sentit le frein de sa lèvre supérieure se déchirer. Il quitta la caserne la bouche en sang. La peau de son visage fluctuait parfois à droite, parfois à gauche en fonction des dernières personnes qu'il croisait.
Depuis ces évènements, il avait vécu toute sa vie en solitaire. Il était incapable de se trouver à proximité du moindre humain.
En coupant du bois pour l'hiver à venir, il leva les yeux vers le ciel du soir encore bleu. Il distingua la lune, pâle, faible, encore effacée derrière la lumière du jour. Il se sentait proche de ce morceau de roche. Il rêvait parfois de pouvoir s'installer là-haut. Seul et léger, il pourrait oublier son corps et sa peau si lourde à porter. Nous étions en 1970, les premiers hommes y étaient déjà partis, sans lui, mais cela lui donnait l'espoir de pouvoir s'y rendre un jour.
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Solitude interdite et autres histoires
Ciencia Ficción« La solitude était illégale dans cette mégalopole du vingt-et-unième siècle. » « Entre le lit et le ventilateur de plafond aux quatre pâles aiguisées lévitait le corps du soldat Damien Sisdey. » « Si nous maintenons cette moyenne de dix-huit nœuds...