Chapitre 5. Les garçons de l'Avenue Carnot.

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Lorsque Paul fut en âge d'entrer au collège à la rentrée 1975, il eut envie d'aller dans le centre de Clermont-Ferrand, lieu de croisement entre ville animée et bâtiments d'enseignements réputés. Martine, en bonne mère aimante, était un peu inquiète à l'idée du trajet en bus que sa progéniture devait faire deux fois par jour mais elle le laissa tout de même entamer ses années d'enseignement secondaire au collège pour garçon Blaise-Pascal, réputé pour ses enseignements littéraires et scientifiques ardus.

Le collège, s'étendait sur toute une avenue, l'Avenue Carnot et dérobait l'angle du Boulevard Fleury. Il comptait plusieurs grands bâtiments en pierres gris foncé et rouge orangé au milieu desquels une cour immense accueillait tous les matins une bonne centaine d'élèves masculins. Élèves et professeurs se hâtaient dans des couloirs interminables et étriqués dans une danse savante, changeant de salles, heures après heures. 

Paul aimait se placer en haut des marches, juste avant le petit pont en acier qui donnait accès, depuis la cour, au bâtiment d'Histoire-Géographie. Il observait, pendant ses deux premières années, tout ce petit monde, en chemises bien arrangées, marcher en de petits pas rapides de droite à gauche et de gauche à droite. Il se disait chanceux d'être dans un tel endroit, entouré de grands professeurs, donnant des cours du collège à la faculté. Ses professeurs étaient pour Paul, des êtres à l'intelligence supérieure qui avaient assez de bonne volonté et d'humilité pour partager ce savoir qu'il savait infini. 

Chaque mardi matin, tous les élèves avaient abandonné leurs chemises propres pour entamer le cours de sport. Tous étaient vêtus de joggings détendus, de toutes les couleurs, contrastant magnifiquement bien avec le sol en béton. Paul était plus grand que la plupart de ses camarades et ses grandes jambes musclées n'avaient pas de mal à devancer ses adversaires à l'exercice du 100 mètres. Le professeur Gascoing, tenant un petit chronomètre, semblant ridicule au milieu de la paume de sa main, applaudissait Paul pour ses temps records, sans oublier d'enseigner à ses élèves que l'effort physique ne dépend pas que de la force musculaire, la force mentale que chacun mettait dans chaque jeu de jambes était tout aussi importante. Après le cours de sport, qui avait le mérite de bien entamer les poumons de Paul et des autres garçons de sa classe, il se précipitait avec ses amis dans les vestiaires du gymnase, profitant d'une douche tiède et rapide, censée remettre d'aplomb les jeunes hommes pour leurs cours de l'après-midi. 

Paul aimait se rendre ensuite, propre et immaculé, en cours de Physique-Chimie, dans une des salles du bâtiment est du collège. Il retrouvait avec impatience le professeur Martin, un homme d'une cinquantaine d'année à la barbe interminable et blanchâtre semblable à celle de Merlin l'Enchanteur. C'était son cours préféré. Il connaissait sur le bout des doigts et comme si sa vie entière en dépendait, la table des matières, et adorait par-dessus tout, les ateliers où il mélangeait d'hasardeux liquides et solides chauffant, s'entremêlant au-dessus de becs bunsen transparents. Paul attendait, moqueur mais fasciné, que le professeur Martin à la fin de chaque cours, sans exception, prononce les mots d'Antoine Lavoisier avec un aplomb de révérant face une foule d'adorateurs. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. 

16 heures sonnaient déjà, et la cloche salvatrice pour les élèves de quatrième était synonyme de récréation. Tous, se précipitaient dans la cour, cherchant le meilleur endroit pour prendre une collation bien méritée entre amis. D'autres sortaient de l'établissement, pour acheter quelques sucreries dans la petite boutique tenue depuis des années indéfinies par une vieille dame portant le nom de Madame Lucette, mais nul ne savait si ce prénom était réellement le sien. En une file d'attente harmonieuse, les garçons du collège Blaise-Pascal se mêlaient, enfin, aux filles du collège Jeanne-d 'Arc, que seule la route à deux voies de l'Avenue Carnot séparait, route perçue comme vide intersidéral et infranchissable par tous les jeunes hommes qui voulaient courtiser des jeunes filles.

Nos cœurs meurtrisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant