Chapitre 1. Des entrailles déchiquetées.

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Note.

Le cœur est un organe aussi puissant que périssable. Il donne la vie, mais il sait tout aussi bien la reprendre. Il suffit d'une personne, d'une action, d'un mot, pour qu'il puisse se briser en mille morceaux. Mais si, par un miracle maudit, nos cœurs disparaissaient, ne serions-nous pas des êtres moins perturbés ? Ne sachant pas répondre avec exactitude à cette interrogation existentielle, ce dont je suis sûre en revanche, c'est que sans notre cœur, toute vie, quelle que soit sa nature profonde, bonne ou mauvaise serait impossible et n'aurait aucune raison d'exister.

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Samedi 8 mai 1965, proche de Loray. Département du Doubs.

Comme les nuages l'indiquaient ce jour-là, le temps était gris, et il en allait de même pour le paysage environnant. On observait le ruisseau au sud de la commune qui semblait vouloir faire mains basses sur la colline qui le surplombait. Néanmoins la couleur verdâtre et le flux las de celui-ci semblait le faire faillir à sa mission première. Sur la rive gauche se tenait fièrement un grand sapin, vieux de plusieurs décennies, à minima cinquantenaire. C'était l'arbre le plus foncé qui se présentait et autour de lui, chênes et hêtres formaient une famille harmonieuse, semblant communiquer avec le reste des éléments, l'eau, la pierre et le sol, boueux.

Derrière la colline rocheuse, le village dans lequel Valérie avait ouvert les yeux ce samedi, semblait avoir été fabriqué artificiellement et posé là sans raison apparente. Le village se situait au beau milieu de terres agricoles et non loin d'une route nationale qui avait pour seul but de relier les quelques centaines de vies isolées au reste du pays. 

L'église gothique du village se plaçait en son centre. Le cloché, haut de cinquante-sept mètres, semblait surveiller les environs, telle une tour de contrôle mettant en garde les mauvais agissements de ses riverains. Tous s'organisaient donc au bon vouloir de l'Église, s'apparentant à une mère sévère à qui il ne fallait pas désobéir. Les habitants du village portaient la prétention de tous se connaitre et formaient une grande fratrie hypocrite. Les femmes, dévouées à leurs époux, à leurs enfants pour certaines et à leur foi surtout, se mêlaient à des conversations subtilement blessantes à l'encontre de celles qui n'étaient pas présentes dans le groupe, jugeant leurs méthodes d'éducation et leurs modes de vie quelque peu différents, parfois épanouissant, qu'elles ne semblaient pas supporter. Le bonheur en dehors de la soumission n'étant pas acceptable, les commérages allaient souvent bon train. Les hommes, quant à eux, après une journée de labeur passé dans les champs, à l'usine ou au bureau, se retrouvaient pour certains au bar-tabac de la commune, buvant une bière ou deux pendant de longs instants peu constructifs, vides de tout sens même, retardant ainsi les retrouvailles familiales et conjugales de la soirée. Tout ce beau monde s'unissait au moins une fois par semaine, chaque dimanche, à la messe animée par le Père Hébert Joslin. 

Le Père Joslin était un homme de foi depuis presque toujours, il avait suivi les enseignements canoniques transmis par son père qui lui-même les avaient reçus de sa propre figure paternelle et ceci sur plusieurs générations, faisant allusion à une partition de requiem sans fin. Contrairement au sentiment général, le Père Joslin n'avait pas été le curé de la commune depuis des temps infinis. Il avait été un enfant, comme tous, et un adolescent doux et silencieux à la crinière couleur châtaigne et aux yeux brun foncé. Sa famille avait tracé son destin avant même qu'il n'ait pu y penser lui-même. Des décennies après cela, le Père Joslin, qui avoisinait les soixante-quatorze ans, était resté fidèle à lui-même, un homme paisible, prévenant avec un peu d'embonpoint et une barbe grisonnante toujours bien taillée. Il était resté fidèle au Christ aussi et fidèle à ses paroissiens qu'il affectionnait. Sa régularité dans les termes de chaque eucharistie, apportait une sorte de réconfort et de stabilité au village qui entendait grâce à lui des paroles sincères et profondes après le chant proclamant « La Gloire de Dieu ». Les instants au sein de l'église semblaient être hors du temps, hors de la vie et du quotidien gêné des personnes qui se trouvaient là, assises devant l'hôtel et buvant les paroles du messager de Dieu. L'Église apportait une vérité absolue dans l'existence de chacun et bien que cette vérité fût absentéiste, elle formatait les gens à se soutenir les uns et les autres. Elle les obligeait à faire preuve de compassion et à accorder le pardon pour leurs péchés ainsi que pour ceux de leur communauté au moins le premier jour de la semaine. La volonté de Dieu était indiscutable.

Nos cœurs meurtrisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant