Chapitre 15. Qu'est-ce que tu fais là ?

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Avant qu'ils ne partent, Martine avait donné à Valérie le contact d'une professionnelle travaillant au planning familial qui se trouvait tout proche de l'université. Elle lui avait conseillé d'aller la voir le plus rapidement possible afin de préparer la suite des événements. Ce qu'elle fit quelques jours plus tard.

Le rendez-vous s'était tenu en soirée, après les cours, qui ne pouvaient pas être manqués. La vieille dame avait longuement discuté avec Valérie de l'avortement qui n'était plus d'actualité. Elle mentionna le fait que si la jeune femme n'était pas prête à devenir mère, elle ne devait pas s'en vouloir. Mais elle s'en voulait. Terriblement. Elle se rendit compte ensuite, et ce, malgré son intelligence notable, combien les dogmes familiaux étaient ancrés en elle, sans qu'elle n'en eût donné l'accord préalable et sans même en avoir conscience. C'était impossible pour elle d'envisager un avortement qui la conduirait tout droit en enfer pour meurtre. Elle prit sur elle pour expliquer tout cela à la gentille femme qui essayait de l'aider en lui proposant en supplément de son suivi de grossesse une aide psychologique au sein du centre, qui selon elle, serait nécessaire pour les mois à venir.

Valérie voulait juste savoir comment se déroulerait sa grossesse et avait fait mine de ne pas entendre la proposition médicale précédente. La vieille femme voyait bien la tentative de dissimulation émotive à laquelle Valérie faisait face et lui avait tout de même posé la carte d'une psychologue, sans rien dire de plus. L'employée du centre commençait à se lancer dans des explications inaudibles pour Valérie qui allait devoir rapidement arrêter ses études à la fin de son premier semestre. Elle n'avait compris qu'à ce moment-là, que d'ici trois mois, elle serait déjà bien en chair et qu'elle devrait abandonner les bancs du campus. Elle se retint de pleurer durant tout le reste de l'entretien. Elle acquiesça docilement aux dires de l'employée mais resta silencieuse. Le premier mot qui sortirait de sa bouche déverserait tout un fleuve de larmes avec lui. Une fois le rendez-vous terminé, elle fut heureuse de sortir de ce bureau trop éclairé et impersonnel qui lui avait donné la migraine. Dehors, elle ne put s'empêcher de vomir et d'inonder son visage d'un flot de larmes infini, le fleuve l'avait emporté.

Ensuite, elle retrouva Paul. Le jeune homme prit d'une peine immense, vit à quel point Valérie était bouleversée, livide, et pourtant il ne pouvait rien y faire. Il se sentait impuissant, et ne savait plus quoi faire pour remonter le moral de sa bien-aimée. Plus le temps passait, et plus Valérie se murait dans un silence qui se voulait malsain et inquiétant, pour elle, tout autant que pour les gens qui gravitaient autour d'elle. Ils étaient de moins en moins nombreux. La tristesse n'attirait personne plus de quelques jours, le temps de se réjouir, puis de se lasser.

Elle repoussait toujours le moment d'annoncer la nouvelle à ses propres parents, et Paul commençait à croire qu'ils devaient être des gens tout à fait terribles et bourrés de préjugés religieux inexacts. Mais il fallait les affronter, et Paul avait pensé que la mère de son enfant se sentirait mieux après l'avoir dit à ses parents. Valérie commençait à grossir. Elle ne put repousser plus longtemps le moment désagréable qui l'attendait depuis plusieurs semaines déjà et elle avait promis à Paul d'aller voir sa famille, seule. C'était sa condition et Paul n'avait eu d'autre choix que d'accepter.

Quelques jours plus tard, elle prit un bus pour se rendre dans la maison de Monsieur et Madame Cabernais, comme elle aimait bien les désigner, et à son arrivée, Monsieur Cabernais, qui ne s'attendait pas à la voir ici, n'avait pas pris la peine de la saluer. Il était en retard pour une réception bureautique inutile et furieux de voir sa progéniture passer la porte d'entrée.

« ­­­— Qu'est-ce que tu fais là Valérie ? Je n'avais pas prévu le week-end pour toi ma fille... Tu aurais pu prévenir un peu à l'avance tout de même ! Dijon ne te fait pas tant de bien que ça on dirait... Les bonnes manières ? Hein ? »

Nos cœurs meurtrisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant