Chapitre 13. Le corps gisant et sans cœur derrière le comptoir de la Pharmacie.

6 1 0
                                    

Armand avait tout juste eu le temps de vider son esprit pendant le trajet à bord de la Peugeot cabossée de l'inspecteur Vitlain. La voiture avait été mise à sa disposition quelques années plus tôt par l'administration et elle avait bien plus vécu que les deux hommes réunis. Arrivant au début de l'Avenue de la Bourdonnais, les deux hommes, silencieux, restaient pensifs. Raphael espérait que son collègue, qu'il ne connaissait que depuis quelques jours, aurait la force mentale nécessaire pour supporter la vue du corps gisant de son ancienne voisine, qui n'était plus qu'à quelques mètres d'eux. L'officier Vitlain se persuadait du bon choix qu'il avait fait en forçant la main à son commandant pour leur confier l'affaire. Raphael fit un créneau devant le petit hôtel au numéro 81 de l'Avenue, en face de la pharmacie, il repensait à son précédent collègue, parti trop vite de l'équipe. Raphael effaça cette pensée irritable d'un petit mouvement de tête et déplaçant son regard sérieux vers Armand, il avait voulu s'assurer que celui-ci était prêt à affronter ce qui allait suivre. Il sentait le plus jeune soucieux, et ajouta.

« ­­­— Respire un coup Armand, j'assure tes arrières. »

Armand avait enfoui ses émotions tout au fond de lui, avec une facilité étonnante. Il ne laissait rien transparaître sur son visage gelé. Il avait aimé entendre Raphael dire qu'il assurait ses arrières, et avait compris à ce moment-là que son coéquipier commençait à l'apprécier. Tirant avec difficulté la poignée intérieure de la Peugeot pour s'extirper de sa place, Armand vit la devanture de la pharmacie qu'il connaissait bien sous un autre jour, plus sombre. Des officiers de police, voisins, et autres curieux étaient postés devant l'échoppe médicale et encombraient les entrées du 52 au 56 de l'Avenue de la Bourdonnais. Armand et Raphael traversèrent la route à deux voies d'un pas pressé, ils s'approchèrent de la pharmacie, tout en poussant avec de petits coups d'épaules polis les personnes qui gênaient l'accès. À l'entrée, Armand passa devant son collègue et baissa la tête pour éviter d'arracher le bandeau jaune fluo et plastifié délimitant la scène de crime. Derrière lui, Raphael et d'autres officiers dépêchés sur place pour l'occasion tentaient de restreindre la vue des curieux qui avaient été rejoints par quelques journalistes. Armand, qui avait entamé les premiers pas dans la pharmacie qu'il n'avait pas vu depuis plus d'un an, senti d'abord une odeur de sang et de chair. Il avait bien vu des cadavres à la morgue pendant son année de stage mais l'odeur du formol était beaucoup plus supportable que l'effluve métallique qui envahissait, sans permission, ses narines. Le corps sans vie de Madame Deflandre étant étendu là, depuis quelques heures seulement, six, selon les dires du médecin légiste qui avait déjà amorcé son travail. Le corps n'avait pas encore eu le temps de se décomposer. Une chance pour l'estomac du jeune officier, qui était en train de se retourner en de montagnes russes terribles. Armand pris quelques secondes pour se ressaisir et observa d'abord l'intérieur de la pharmacie sur la gauche. Rien ne semblait avoir bougé depuis sa dernière visite, comme si le commerce était resté figé en attendant son retour. Il déplaçait lentement son regard vers la droite, puis il vit une trainée de sang qui menait jusqu'à l'arrière du comptoir de service. Une envie folle gravit tout son corps, suivre celle-ci, mais ses jambes ne purent avancer plus. Charles Deflandre se trouvait là, agenouillé au sol, sur la partie gauche de la pharmacie qui présentait des effets pour nourrissons. Une scène bien ironique, avait pensé Armand qui avait vu l'homme d'une cinquantaine d'année en position recroquevillé, comme un enfant venant de se faire gronder par ses parents. Armand avait enjambé, avec précaution, la trainée pourpre d'un grand pas, puis il s'agenouilla à hauteur de Charles, en pleure, la tête entre les mains et touchant ses genoux. Armand prit la peine de relever l'homme afin que celui-ci puisse le regarder.

« ­­­— Je suis désolé Charles, vraiment. »

Charles, n'avait même pas prêté attention à l'enquêteur qui était entré dans la pharmacie, puis releva la tête, laissant apparaitre une mine affreuse et des yeux injectés de sang, il avait reconnu la voix, puis le visage du fils des voisins.

Nos cœurs meurtrisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant