Du soleil en hiver - Partie 1.

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✰ Texte réalisé par Plume_de_Louve

Anne avait mal au cœur. Ce genre de douleur qui laisse des traces sur le corps autant que l'esprit. Elle cherchait désespérément un quelconque miroir qui arriverait à lui prouver que son sourire était joli, ou au moins sincère. Mais son reflet ne faisait que hurler qu'elle n'était qu'une vieille épave oubliée. Chaque matin elle se levait, fatiguée, ne sachant pas où elle trouvait la force de se mouvoir et, chaque soir, elle se couchait avec le sentiment qu'en une journée, elle en avait vécu cent. Elle perdait la notion du temps aussi rapidement que l'espoir d'être heureuse pendant ne serait-ce qu'une minute. Une infime minute de bonheur, rien qu'un court instant dérobé à la vie, rien que l'espace d'un souffle de vent, juste un tout petit moment où tout ne lui apparaîtrait pas froid et terne.

Anne était seule. Ce genre de solitude qui emplit l'espace et nous étouffe comme si des centaines de personnes nous étreignaient. Elle attendait silencieusement qu'on lui accorde de l'importance, qu'on lui montre que sa vie valait autant que celle des autres. Mais on l'ignorait, tranquillement, dans la rue ou au travail, dans les boutiques ou les restaurants, qu'importe l'endroit ; elle était invisible. Elle avait un emploi, dans une petite librairie de quartier, toute simple et joliment décorée. Il n'y avait qu'elle et sa patronne, Louane, une jeune femme de vingt ans moins âgée, qui l'ignorait la plupart du temps – sauf lorsqu'il fallait s'occuper des stocks ou des finances. Les livres, eux, étaient toujours prêts à l'accueillir à pages ouvertes, ce qui en faisait ses plus proches amis. Mais ils ne compensaient pas l'absence d'une personne à aimer.

Anne adorait les romances. Cela la faisait rêver, de s'imaginer à la place de l'héroïne qui rencontrait soudainement l'âme sœur au coin de la rue. Chaque soir, en rentrant chez elle, elle espérait que cela lui arriverait ; et, chaque soir, elle tournait la clé dans la serrure de son appartement avec les sentiments en miettes. En réalité, il y avait bien longtemps qu'elle avait arrêté d'y croire ; les livres n'étaient que des livres, des mondes inventés, voilà tout. La vie était bien différente, plus sournoise, plus morose. C'était ainsi, il fallait l'accepter.

La plupart du temps, Anne arrivait à effacer ces quelques tristes pensées qui l'opprimaient. Mais quand les fêtes de fin d'année approchaient, elle en était tout bonnement incapable. Chaque fois qu'elle mettait un pied dehors, elle tombait sur des familles heureuses et comblées qui achetaient les cadeaux, les décorations, des dindes et autres diableries de Noël. Elle détestait Noël. Non pas qu'elle n'aimait pas les sapins, les étoiles, les marrons et les chèques cadeaux, certainement pas ; simplement, il n'y avait personne pour les lui offrir, alors que tous les habitants du village avaient au moins quelqu'un. Elle haïssait le flot de bonheur qui lui emplissait les narines et les yeux, alors qu'elle n'y avait jamais goûté.

Il n'était donc pas étonnant de la voir ronchonner et fusiller du regard les bambins surexcités qu'elle croisait dans le magasin, ce soir-là. Elle ne voulait rien d'autre que de la glace, pour pouvoir vider le pot – encore une fois – en lisant un livre idéaliste à l'eau de rose. Seulement voilà, c'était le treize décembre, et apparemment tout le village avait décidé d'arpenter les rayons de cette échoppe précisément afin de dévaliser le stock de chocolat et autres cochonneries. Anne n'aimait pas les gens en général, autant qu'elle n'aimait pas la solitude – ah! ironie quand tu nous tiens – mais ce qu'elle supportait le moins était les gens bruyants. Elle n'avait qu'une envie, c'était rentrer chez elle, s'enfermer à double-tour pour le reste du week-end à s'empiffrer et se lamenter de sa vie indéniablement déprimante.

Un enfant fit soudainement l'erreur de la percuter violemment, alors qu'elle attendait de passer aux caisses automatiques – des engins franchement plus aimables que les caissières, fallait-il avouer. Elle se retourna brusquement, les narines frémissantes, prête à lui postillonner des remarques bien placées au visage, quand elle croisa son regard vert et brillant. Il s'excusa poliment avant de rejoindre sa mère qui attendait non loin, en gambadant joyeusement. La colère d'Anne retomba lentement et il lui fallut un certain temps avant de se rendre compte qu'elle fixait toujours la petite famille, comme hypnotisée. Il se dégageait un tel calme et en même temps une telle énergie de ce duo qu'elle n'arrivait pas à détourner les yeux – qui finirent par rencontrer ceux de la Maman. Même à cette distance, elle fut éblouie par la clarté qui s'en dégageait, comme un baiser de prairie qui lui effleurait les joues. La mère lui adressa un sourire d'excuse avant de replacer une mèche de ses cheveux roux derrière son oreille. Ce geste si banal était pourtant tellement élégant qu'Anne sentit des étincelles dans son estomac.

Une histoire au pied du sapin.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant