11. Zabillet, février 1428

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Logis de Jacobus

— Jehannette, hâte-toi, il ne manquerait plus que nous arrivions en retard !

— Dans ma précipitation, j'ai laissé mon anneau rouler sous la table...

Zabillet lève les yeux au ciel, exaspérée par les tergiversations de sa fille. Sa voix trop douce, ses manières trop lentes : toute son attitude l'indispose. Catherine est bien plus vive, elle ne me cause pas tant de soucis. Elle ne contesterait jamais une promesse de mariage, pour commencer.

— Tiens, le voici, déclare-t-elle en se relevant avec la bague qui était tombée à ses pieds.

Zabillet regrette d'avoir donné le bijou à Jehannette. Elle avait prétendu en le lui offrant qu'elle le tenait de sa mère et que l'anneau passait de fille aînée en fille aînée. « Ce symbole marque ton entrée dans le monde adulte », lui avait-elle annoncé solennellement.

En réalité, Zabillet n'avait trouvé l'objet que quelques heures plus tôt en arrivant dans la ferme, enfoui dans les cendres de la cheminée. Les tenants qui habitaient l'endroit en leur absence étaient bien trop pauvres pour posséder un bijou en or ; elle l'avait donc ramassé avec l'air ravi d'un enfant qui reçoit un présent inattendu. Pourtant, effrayée à l'idée de commettre là un péché, elle n'avait pas pu se résoudre à passer l'anneau à son doigt. Elle l'avait finalement donné à Jehannette. Une étrange aura semblait émaner de la bague, mais cela n'avait pas dérangé sa fille. Elle l'avait essayée en la fixant de grands yeux émerveillés, et ce regard un peu stupide ne l'avait pas quitté depuis. Ni l'anneau, d'ailleurs. Elle ne l'enlève que pour le tripoter.

L'air angoissé de Jehannette se dissipe instantanément alors que sa mère lui passe la bague au doigt. Un sourire béat sur les lèvres, elle termine de serrer ses bottes, accroupie au sol comme une enfant. Zabillet vérifie d'un coup d'œil l'accoutrement de sa fille : sa robe est un peu lâche, d'une riche couleur bleue, très sobre. La parfaite innocente, on dirait dame sainte Marie. Pour elle-même, elle a choisi ses plus beaux affublements ; un habit avec un laçage de verts et de rouges et une coiffe bordée d'émeraudes. Un court chaperon complète l'ensemble, recouvrant à peine ses épaules : il ne la protégera pas du froid, mais permettra largement d'affirmer son statut. Parées.

— Jehannette, va donc voir si la charrette est là.

La damoiselle rabat sa capuche et sort prestement. Un des marchands immobilisés à la frontière par Jacobus doit les amener jusqu'à Toul pour le procès. Le père de famille lui a conté qu'elles allaient visiter un cousin et faire quelques achats – se recueillant évidemment au préalable dans la grande ecclésia de leur diocèse. En échange de sa peine, de sa ponctualité et surtout de sa discrétion, son époux lui a promis un passage par la maison de l'octroi sans levée de taxes lors de son retour. Zabillet fronce les sourcils en imaginant la scène. J'espère que Jacobus a su convaincre l'homme de cette vérité arrangée... il ne remarque jamais quand on fait semblant de l'écouter.

Zabillet profite des quelques instants d'attente pour lustrer une énième fois ses longs cheveux blonds. Elle se remémore inlassablement sa nourrice, qui lui passait cette même brosse en soie de sanglier, chantant de petites comptines de reines et de princesses et de beaux châteaux. Sans s'en rendre compte, Zabillet fredonne les mêmes airs pour calmer ses nerfs.

— Il est arrivé, lance Jehannette par l'entrebâillement de la porte.

Une bourrasque de neige en profite pour refroidir la pièce, et Zabillet se prend à regretter de ne pas avoir plutôt porté son épaisse cape de peaux. Elle range précautionneusement sa brosse dans une petite alcôve au mur et sort à la suite de sa fille aînée, prenant soin de ne pas laisser entrer plus de froid pour ne pas réveiller les garçons. La neige a cessé de tomber, ayant tout de même eu le temps de recouvrir les rues d'une épaisse couche humide durant la nuit. Le jour n'est pas encore levé, et elle ne distingue rien de plus que le visage et le bras du marchand qu'éclaire sa lanterne.

L'Aimant - Laurasia IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant