45. Jehannette, mai 1428

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Forêt de Greux

Jehannette est assise à l'arrière de la charrette. L'après-midi est à peine entamée, elle devrait avoir le temps de mener sa mission à terme. La damoiselle rabat son capuchon sur ses longs cheveux bruns en frissonnant : l'atmosphère est soudainement devenue brumeuse, l'air frais et humide. La damoiselle ne peut empêcher son esprit de créer un parallèle avec ce trajet jusqu'à Toul pour le procès des épousailles. Cela lui semble s'être déroulé une éternité auparavant, et pourtant une saison à peine s'est écoulée. Avec un mélange de dégoût et d'envie, ses pensées dérivent vers Richard et ses grossières accusations. Jehannette se sent rougir, son bas ventre échauffé et ses mains moites. Elle ressasse ces fois où leurs corps ont pu se rapprocher, et ce dernier soir, dans la ruelle.

La damoiselle jette un coup d'œil anxieux vers son chauffeur à l'avant de la charrette, de peur qu'il n'entende ses rêveries honteuses. Joignant ses mains devant elle, elle récite intérieurement. Délivre-nous, Seigneur, de la faim, de la peste et de la guerre. Elle fixe l'anneau offert par sa mère, elle a chaud, le métal lui brûle le doigt. Les voix reviennent, les images se rassemblent. Elle a l'impression de sentir l'odeur de la sueur. Des voilages de tissus inconnus flottent dans sa tête, des corps nus se découvrent. Jehannette recentre son attention vers de complexes prières en latin que le marguillier lui a appris. Les intonations latines échappent à sa compréhension. Elle entend les murmures sensuels, elle entend les halètements, elle entend les démons de l'enfer qui s'accouplent et violent ses pensées. C'est comme un cauchemar en plein jour.


Logis de Durand

— On y'est, damoiselle Jehanne.

Jehannette rouvre brusquement les yeux. La charrette est entrée dans le petit village de Burey-le-Petit, à un peu plus de trois lieues de Domrémy et à peine une lieue de Vaucoulour. C'est Claude, un ami de ses frères, qui a accepté de la déposer là. Jehannette trace sur sa poitrine un signe de la croix pour tenter d'effacer les pensées malignes qui l'embarrassent encore telle une nausée malodorante. Elle adresse une courte prière à la vierge pour se faire pardonner des mensonges dont elle a fait usage pour obtenir du chauffeur qu'il l'emmène jusqu'ici, et remercie ce dernier avec un sourire charmeur.

Derrière elle, la charrette repart pour Grand. Jehannette est campée seule au milieu du chemin. Elle entame les quelques minutes de marche qui la séparent de la maison de sa cousine Jehanne. Son pas chancelant devient de plus en plus assuré, sa résolution revient doucement. Quand elle frappe à la porte des Laxart, elle est prête.

— Jehannette ! Entre donc, entre donc.

C'est Durand, l'époux de sa cousine, qui lui ouvre la porte. L'homme a toujours eu de l'embonpoint et affiche un ventre qui a concurrencé celui de son épouse enceinte ces derniers mois. Son pourpoint bien tendu est richement orné de rouge et de vert. Tous deux s'attablent dans la pièce du poêle, près d'une impressionnante flambée. La journée est un peu humide, mais pas particulièrement froide. Durand lui fait signe de s'installer et précise avec un sourire béat :

— C'est pour Jehanne, afin que le bébé et elle-même ne souffrent pas du froid en rentrant. J'imagine que tu ne te soucies pas vraiment d'être arrivée trop tard pour l'accompagner aux relevailles...

Jehannette rougit, gênée d'être ainsi attrapée la main dans le sac. Si elle avait pu, elle serait volontiers allée à la cérémonie. Il n'y a plus le temps.

— Mon cousin... il faut que ce soit aujourd'hui, je vous en supplie. N'est-il pas dit qu'une femme perdrait la France et qu'une pucelle la relèverait ?

L'Aimant - Laurasia IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant