27. Barty, mars 1828

12 3 9
                                    

Barty tape à nouveau de sa canne sur une trappe au sol. Décidément, les réseaux ne se montrent pas très futés : tous terrés dans des caveaux ; la milice doit savoir où chercher à force ! Il patiente une minute, puis deux.

Persuadé qu'on l'observe, il se force à rester immobile. Son dos le démange, il meurt d'envie de regarder derrière lui. Si Léon avait voulu me vendre, ce serait l'endroit idéal... avec mon pantalon beige, je dois paraître suffisamment ganache pour me laisser assommer d'un coup de gourdin sans même tenter de me retourner. Le maître-artisan lui a déroulé une grande carte des galeries de Newcastle et lui a indiqué quelques adresses. Peut-être des fausses pistes pour lui faire perdre du temps, l'inciter à continuer une fois la nuit tombée – dans tous les cas, le couvre-feu est passé depuis déjà plusieurs heures. Je ne suis plus à ça près...

Barty est descendu d'encore quelques niveaux dans le réseau souterrain, physiquement du moins. La trappe devant laquelle il attend avec une détermination faiblissante se situe dans les égouts de la ville, au moins deux étages sous le sol.

— Le chapeau, lance une voix sourde derrière lui.

— Pas question, répond Barty sans se retourner.

Ce haut-de-forme, c'est toute son identité, son premier achat avec ses premières rentes d'inventeur. C'est un symbole d'intégrité. Avec des mouvements excessivement lents, le jeune homme passe la main dans sa poche et en sort une bourse. Point à noter : emporter davantage de petite monnaie pour les prochaines transactions. Toujours sans regarder son interlocuteur, il tend le petit sac devant lui et fait tinter les pièces qu'il renferme. Un garçon d'une dizaine d'années à peine, le visage masqué par un foulard, le contourne alors et récupère la bourse d'un geste vif. Il l'ouvre pour en vérifier le contenu et glisse sa récompense dans son veston. D'un signe de tête, il enjoint à Barty de le suivre et enjambe la trappe, éclairant un mince boyau entre deux murs de sa lampe à huile. Détroussé par un gamin... c'est que j'approche enfin des bons destinataires.

Barty talonne l'enfant dans un dédale de passages souterrains. Il ne saurait clairement pas retrouver la sortie seul maintenant – c'est sûrement le but de cette promenade. Son guide pourrait très bien le ramener à son point de départ ; il ne s'en rendrait même pas compte. D'ailleurs, les voilà qui s'arrêtent devant une trappe similaire, à peine plus large. Sans un mot, le garçon ouvre le clapet sous lequel Barty aperçoit un escalier luisant d'humidité, éclairé par quelques bougies le long du mur. Sur un nouveau signe de tête du gamin, le vaporiste entre, seul.

À mi-chemin dans sa descente, le jeune homme entend la trappe claquer derrière lui et ne peut réprimer un tressaillement. D'un coup d'œil en arrière, il remarque que l'enfant ne l'a pas suivi et continue sa progression plus lentement. Il ne manquerait plus que je glisse sur une dalle mouillée, ou que je trébuche sur un rat... Mon arrivée perdrait de sa dignité. Barty distingue enfin un couloir en bas des marches ainsi que les deux colosses qui l'y attendent munis de pistolets anglais. Le plus récent modèle de Forsyth, se remémore Barty en retenant un sifflement d'admiration. Les dernières tendances en armement, c'était le sujet de discussion du rendez-vous de mercredi avec ses collègues. Deux arcboutants comme ça, c'est l'équivalent du prix de sa maison. À croire que les deux hommes sont postés ici par mesure de publicité plutôt que de sécurité. Sans un mot, Barty suit le premier colosse dans de nouveaux dédales, tandis que le second marche derrière lui. Tous les trois pénètrent enfin dans l'antre de la Guilde des Voleurs.

La Cour des Miracles

Barty imaginait devoir passer des genres de tests, des épreuves, se faire menacer et devoir argumenter son cas... et voilà qu'il se retrouve debout dans une foule plus ou moins organisée d'autres demandeurs. À faire la queue, en somme. Pour un peu, on se croirait au Bureau des Inventions Laurasiennes. 

L'Aimant - Laurasia IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant