Demeure Thimonnier
Le chat dérape sur le coin du tapis en glissant se cacher sous le ventre de la centrale vapeur. Barty s'affale sur la banquette d'où il a délogé la maigre bête, l'air épuisé. Son haut-de-forme penche de travers, le ruban défait. Une mèche de cheveux cendrés colle à son front mouillé de sueur. Debout face à lui se tient la jeune femme que les deux sœurs n'ont toujours pas réussi à faire asseoir ; apparemment persuadée de ne pas en avoir le droit. Avec un soupir agacé, Augustine rejoint Barty – son époux – sur la banquette et croise les bras sous sa poitrine.
— Barty, vas-tu enfin nous expliquer ce... ceci ? réclame-t-elle en pointant un doigt tremblant sur la nouvelle venue, nous ne possédons pas les finances pour une nouvelle esclave à talent !
Alors que personne ne répond, Augustine ajoute avec une moue butée :
— Pour une fois que tu accompagnes Crime pour « quelques courses »... Au final, vous n'avez rien ramené de ma liste et avez quand même réussi à tout dépenser.
— « au final », « au final », imite le vaporiste en agitant les mains.
Adélaïde croise les yeux verts de Barty et lève les yeux au ciel. Elle voit bien qu'Augustine l'agace profondément. De pis en pis depuis leur mariage. Pourtant, ce sont eux qui ont choisi de monter dans le même bateau, pas elle. Personne ne l'a consultée. Cela fait à peine quelques semaines qu'ils se sont dit oui, et ce n'est pas une réussite. Hors de question de prendre parti. Ignorant les deux êtres renfrognés affalés sur la banquette, elle se tourne vers la jeune femme :
— Hibiscus, c'est bien ça ? Peux-tu me dire d'où tu arrives ?
Barty est rentré à la maison quelques minutes plus tôt, traînant à moitié la jolie jeune femme derrière lui. Les vêtements déchirés et la peau griffée, elle ressemblait à un animal battu, tremblant au moindre mouvement brusque et refusant de pénétrer dans le hall. Les deux sœurs avaient fini par la convaincre de les suivre dans le salon, et même de lui faire avaler un petit remontant. Malgré leurs attentions, l'esclave demeure muette comme une tombe, les yeux anxieusement fixés sur la sortie.
Barty rompt enfin le lourd silence qui s'était installé.
— Elle « arrive » de chez mon père. Je viens de l'acquérir.
— Tu l'as achetée ! Combien ? s'exclame Augustine, les bras toujours croisés dans une bouderie enfantine, le buste penché en avant comme une menace.
Sans lui prêter attention, Barty continue son récit.
— Il la battait, depuis longtemps déjà, mais je ne l'avais encore jamais vu faire...
Perdu dans la contemplation de ses bottes de cuir, le jeune inventeur ajoute en direction de son épouse :
— Il ne me l'a pas vendue cher, j'ai menacé de le dénoncer. Pas aux autorités, évidemment ; il ne causait de dommages qu'à sa propriété personnelle après tout. En revanche, le voisinage s'est déjà plaint plusieurs fois pour tapage nocturne.
— Combien ? répète Augustine.
— Pas plus tard qu'hierm tu te plaignais que tu ne puisses pas t'offrir de femme de chambre : en voilà une.
— Je préfèrerais économiser pour une gouvernante... en espérant en avoir bientôt besoin !
Le sourire moqueur d'Adélaïde s'efface instantanément en entendant la remarque de sa sœur. Je ne suis pas prête à être tante, surtout d'un rejeton de Barty !
— Comb... recommence Augustine.
— Enfin, ça ne te concerne pas ! tonne Barty, j'administrais très bien mes affaires avant que tu ne t'en mêles. Les vraies bouches à nourrir, ce ne sont pas les esclaves, mais plutôt vous deux !
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L'Aimant - Laurasia I
Science FictionEt si la France perdait la guerre de cent ans, laissant place à un empire mondial ? En 1428, la France perd territoires et légitimité face à l'Angleterre. Alors que ses nuits s'emplissent de cauchemars prophétiques, une jeune femme se laisse entraîn...