CHAPITRE 6

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« -Voudriez-vous me dire, s'il vous plaît, par où je dois m'en aller d'ici ?

-Cela dépend beaucoup de l'endroit où tu veux aller.

-Peu importe l'endroit...

-En ce cas, peu importe la route que tu prendras.

-... pourvu que j'arrive quelque part », ajouta Alice en guise d'explication. » Lewis Carrol, Alice au pays des Merveilles.

*

Donna avait envie de détourner le regard, mais n'y parvint pas. L'image s'imposait à elle de force, incontournable. Elle observa ses parents disparaître dans leurs trous respectifs, devant les pierres tombales portant leurs noms. Le moment qu'elle redoutait le plus depuis que les obsèques avaient commencé se déroulaient sous ses yeux, et elle ne pouvait rien faire pour l'en empêcher. Elle assistait au départ de ceux qui l'avaient mis au monde, impuissante. Les cercueils s'éloignaient d'elle et s'engouffraient dans la terre, et elle eut l'impression de voir les deux esprits de ses parents en émerger au dernier moment et s'élever dans l'air jusqu'à se volatiliser, sans la regarder. Aussi immobile que la statue de pierre ornant lugubrement les deux uniques tombes, elle formula un adieu silencieux entre ses lèvres sèches et exsangues. Un adieu auquel elle avait du mal à croire, tant elle peinait à se persuader que c'était fini pour de bon, qu'elle était désormais seule au monde.

Maman, tu m'auras donc laissé tomber toi aussi. Nous avions besoin l'une de l'autre et tu m'as abandonnée comme si je n'étais rien pour toi. Et maintenant, tu es avec papa. Je t'envie.

Son cœur battait au ralenti. Le temps, lui semblait-il, s'écoulait au ralenti, comme si sa perception du monde refusait de mettre fin à cet adieu et de laisser ses parents la quitter. Avec ses paupières submergés de larmes piquantes, et à cause du voile sombre de deuil qui lui cachait en partie la vue, Donna était finalement presque aveugle. Ce qu'elle voyait des funérailles n'était qu'une image floue et obscurcie qui lui parvenait comme de derrière un prisme foncé. Les deux pierres tombales côte à côte lui apparaissaient comme deux formes aux contours brouillées et vaguement rectangulaires qui se dressaient devant elle, moqueuses. Deux silhouettes qui avalaient ses parents et les dévoraient devant elle en caquetant : « Ils sont à nous maintenant, tu ne les verras plus. Plus jamais ! ». Les arbres décharnés emprisonnant la zone ne ressemblaient pas plus à des plantes qu'à une armée de mains géantes sortant de terre, griffant l'air pour engloutir les vivants.

Les personnes conviées autour d'elle étaient réduites à une horde d'ombres voguant sur la mer de neige. Ébauches de silhouettes humaines, elles flottaient près de Donna qui avait tout juste conscience de leur présence. La perspective d'une vie esseulée et sans la moindre attache qui s'ouvrait à elle obnubilait trop son esprit pour qu'elle ne les remarque pleinement. Et pourtant, d'une façon surprenante, le fait qu'ils soient là, si nombreux autour d'elle, la dérangeait presque. Etre au milieu d'une foule dans un moment aussi personnel lui faisait subir des sentiments conflictuels et contradictoires qui la déchiraient. Elle appréciait, avec la meilleure foi du monde, qu'ils soient venus pour se recueillir à l'enterrement de ses parents, mais cela n'empêchait pas que leur présence la faisait se sentir plus mal encore. Ils pouvaient la voir, quoique pas directement. Sans ce voile noir qui dissimulait entièrement son visage, ses émotions, et surtout son immonde cicatrice, elle aurait été incapable de se tenir comme ça au milieu de tous ces inconnus. Elle se dit qu'elle aimerait porter cette robe de deuil en permanence, afin de se cacher du monde, de disparaître de leurs regards qu'elle sentait plein de reproches, de railleries, et de préjugés. « Regardez, il ne reste que la maboule. », « Les parents devaient sûrement avoir honte d'elle. C'est sûrement un soulagement pour eux, de ne plus l'avoir sur les pattes. Tu m'étonnes qu'ils se soient tués. Qui voudraient d'une enfant comme ça ? », « Pourquoi ne parle-t-elle pas ? Elle est déjà mal faite physiquement, si en plus elle ne sait même pas causer ! », « Et dire que la lignée des Beneviento va s'éteindre avec cette ratée de la nature ! Triste fin. »

LA MARIONNETTISTE - Fan fiction Donna Beneviento - Resident Evil VillageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant