« Personne ne peut jamais éprouver ce qu'éprouve un tiers. On peut essayer de deviner. On peut émettre des hypothèses. Mais cela s'arrête là. » Clive Barker, Sacrements
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Quand elle n'était pas dans sa chambre ou dans l'atelier de son père, Donna jouait souvent dans le salon, entourée de ses amis de bois aux visages de porcelaine. Stimulée par la mélodie rythmée et dansante qu'écoutait Pierrot à la radio en travaillant, et qui résonnait depuis l'atelier, elle revivait les aventures lues dans la bibliothèque tel un réalisateur adaptant des romans au cinéma. Elle se projetait en Dorothy Gale arrachée à sa ferme natale pour explorer de mystérieuses contrées où elle rencontrait tour à tour l'Épouvantail sans cerveau, l'Homme de Fer sans cœur et le Lion froussard. Ces rôles étaient bien sûr campés par quatre poupées, délogées de sa chambre pour être reposées dans le salon. Quatre petits garçons souriant qu'elle chouchoutait tendrement. Puis, sans crier gare, elle devenait Alice et les poupées se transformaient en habitants loufoques du Pays des Merveilles. Donna prenait une voix aussi déjantée que possible pour les faire parler. L'enfant souriant habillé en clown qu'elle avait posé sur le tapis jouait le Chat de Cheshire, tandis que celui en costume noir et nœud-papillon rouge devenait le lapin blanc. Une autre poupée représentant une petite fille endossait le rôle de Dina. Donna ne donnait néanmoins à aucune poupée le rôle de la Reine de Cœur, ni la Sorcière de l'Ouest. Ces personnages n'existaient tout bonnement pas dans ses jeux. Dans le monde qui était le sien, il n'y avait pas de méchante sorcière. Ni d'ogre. Eux, ils vivaient dehors.
Ces mises en scène pouvaient s'éterniser pendant des heures, jusqu'à ce que les obligations de la vie ne venaient pas rattraper Donna. En général, elles étaient interrompues par l'appel de sa mère qui lui demandait de venir l'aider à la cuisine, lui confiant des tâches comme couper de l'ail ou des tomates. Donna, qui était dotée d'une dextérité remarquable pour son âge, s'exécutait sans pour autant mettre fin à ses films mentaux qui se prolongeaient en secret dans sa tête pendant qu'elle aidait sa mère. La cuisine, le salon, la bibliothèque avec le projecteur, les couloirs... La maison toute entière était son terrain de jeu, et elle seule était au courant de ce fait. Une grande et belle maison qui ressemblait à un labyrinthe aux innombrables cachettes. Le Paradis pour une enfant comme Donna.
La Maison Beneviento était en effet une merveille architecturale qui avait survécu au poids des années. Tout en remplissant toutes les cases qui faisaient d'elle une typique demeure familiale au style européen, elle avait des airs de foyer chaleureux et campagnard, à des années lumière de l'aspect pompeux et clinquant du château Dimitrescu, au Nord du Village. En outre, elle était située dans un cadre qui la rendait à la fois mystérieuse et angoissante. Un curieux mélange entre attraction et répulsion, voire entre apaisement et malaise, animait le cœur des villageois qui s'aventuraient dans le domaine des Beneviento, à l'Est du Village. L'environnement où elle avait été construite jouait un rôle important là-dedans : la forme de la sombre bâtisse se découpait dans l'épaisse brume laiteuse faite de gouttes d'eau générée par l'immense cascade se dressant derrière elle. La propriété avait construite au bord de la falaise où se prolongeait la cascade qui partait d'un point beaucoup plus haut, comme si la montagne avait été sculptée sur plusieurs étages. La neige permanente couvrant l'entièreté de la région achevait de donner une impression de rêve à ce paradis blanc. Le tableau monochrome qui en résultat, oscillant entre le blanc et le gris sombre, en était presque hypnotisant. L'édifice lui-même, vue de loin, ressemblait à un spectre colossal, voire à un mirage à deux doigts de se volatiliser dans les méandres flottants du brouillard qui l'entourait. Ses multiples toits triangulaires se terminaient en leurs sommets par de longues flèches verticales, une par toit, qui transperçaient un ciel presque systématiquement grisâtre. Juste derrière elle, les reliefs rocheux de la montagne entourant la cascade se devinaient à peine. Et devant, un portail grillagé, froid et peu accueillant, séparait deux épais piliers de pierre. De chaque côté de ces piliers, se prolongeait un grillage qui courait le long de la falaise enneigée et entourait la propriété, donnant l'impression que la demeure était emprisonnée dans ce périmètre par la menaçante grille. Il y avait aussi un unique noisetier, sur la droite quand on faisait face à la maison, qui accueillait les visiteurs dans l'espace jardiné entre le grillage et l'entrée. Il n'était orné de feuilles que pendant une période de deux mois au printemps et voir des noisettes pousser dessus était un évènement si rare que c'en était miraculeux. Le jardin en lui-même se divisait en plusieurs fractions : si la partie principale se trouvait simplement devant la façade de la maison, d'autres parties, plus discrètes, se cachaient entre les zones boisées. Leur accès se faisait en passant par des sortes de tunnel quadrillés envahis par de jolies ronces dont le développement était contrôlé avec soin par Joseph. Le résultat était aussi impressionnant qu'atypique.
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LA MARIONNETTISTE - Fan fiction Donna Beneviento - Resident Evil Village
FanfictionUne fan fiction en français d'environ 150 pages retraçant l'histoire du personnage de Donna Beneviento du jeu Resident Evil 8. Ceci est une nouvelle de fan basée sur les personnages de la licence appartenant à Capcom. Je ne possède aucun de ces per...