CHAPITRE 15

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« Mes vices ne sont que le fruit d'une solitude forcée. » Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne.

*

Quand il sorti de chez lui pour arroser les plantes du jardin, Joseph était de bonne humeur. Son dernier échange avec Mademoiselle Beneviento, la plus longue conversation qu'il eût avec elle depuis qu'ils se connaissaient, l'emplissait d'une douce béatitude dessinant un sourire presque douloureux sur ses lèvres qui avaient perdues l'habitude de sourire depuis longtemps. Au bout de quelques instants, il se mit même à siffler un air monocorde qui accompagna sa marche.

C'était si inespéré que cela semblait presque irréel à dire, mais Mademoiselle avait vraiment donné l'impression d'être joyeuse. Ou au moins, de ne plus être aussi déprimée et perdue qu'elle l'avait été durant les vingt dernières années passées à broyer du noir. Les vieilles habitudes avaient beau demeurer, elle n'avait pas donné l'image d'une vieille fille s'apitoyant sur son sort, pour une fois. Elle qui avait vécu prisonnière de son deuil pendant si longtemps, s'enfermant dans son chagrin et s'étouffant dans son isolement, incapable de tourner la page ou de se faire des amis, paraissait enfin sortir de sa bulle et s'animer d'une vitalité nouvelle. Ce n'était qu'une hypothèse impossible à vérifier, bien sûr, à cause de cette obstination qu'elle avait à cacher son visage et à utiliser sa poupée pour parler, mais ce qu'il entrevoyait portait à croire que l'adoption de Mère Miranda avait fait éclore un rayon de soleil dans sa vie plongée dans les ténèbres. Par jeu de procuration, Joseph lui-même s'en trouvait soulagé. Voir cette jeune femme heureuse consolait tant bien que mal son propre deuil et adoucissait le tenace souvenir de la mort de sa femme et de son fils. Tout en cogitant, il s'accrocha à l'espoir de la voir un jour sortir à visage découvert et s'exprimer sans l'aide d'Angie. Un avenir qu'il avait cessé d'envisager depuis longtemps, mais si le soutien de Mère Miranda était si positif, alors il n'était pas insensé d'oser rêver...

Certes, des signes qu'il était impossible d'ignorer rappelaient les facettes sombre de la vie de Mademoiselle. Joseph se trouva confronté avec le plus évident d'entre eux lorsqu'il traversa le chemin menant à chez elle et constata avec une certaine déroute que les branches au-dessus de sa tête portait toujours les stigmates du passé : de vieilles poupées cassées étaient toujours suspendues aux arbres par des cordes attachées autour de leurs cous, l'autre extrémité étant enroulée autour des branches. Leurs corps, qui se balançaient un peu sous l'effet des fébriles agressions du vent, semblaient errer dans les limbes comme des âmes damnées. Joseph avait noté au fil des ans que leur sinistre présence dissuadait les villageois de s'approcher de cette zone du Village, craignant ces présages de mort. Ainsi, ils entretenaient toujours les petites rumeurs et légendes autour de Donna, dont la réputation égalait presque la cruelle Alcina Dimitrescu que l'on disait cannibale et dont le château, surplombant le Village, était sûrement l'endroit le plus redouté de la région.

Un gros arrosoir plein dans une main, un râteau dans l'autre, Joseph tâcha toutefois de ne pas laisser ce rappel lui gâcher la journée et continua sa route en sifflotant. La faible tombée de neige de la nuit précédente avait saupoudré le chemin de poudre blanchâtre, que le jardinier écrasait à pas feutrés. Le ciel était de plomb. Un ciel de mauvais augure, ce que le jardinier décida d'ignorer afin de préserver son humeur enjouée. La zone boisée se mua en tunnel quadrillé qui déboucha sur la demeure Beneviento. Les éclaboussures écumeuses générées par la cascade, virevoltant dans l'air comme des nuages vivants, vinrent lui chatouiller le visage en y déposant de minuscules gouttes d'eau froide. Il fut surpris de voir Donna et Angie se tenir à l'extérieur de la maison, et même de la propriété encerclée par le grillage. La jeune femme était débout à quelques mètres devant le portail ouvert, Angie à ses pieds – c'est fou comme l'imagination peut jouer des tours, parfois ; Joseph cru d'abord la voir bouger et lui faire un signe de la main. Mademoiselle Donna paru même la souffleter d'une petite tape derrière la tête juste après, comme pour la réprimander.

LA MARIONNETTISTE - Fan fiction Donna Beneviento - Resident Evil VillageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant