19- L'enfant Lune

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Les yeux d'Edward brillaient comme des astres. Tilly n'avait pas prononcé un mot, éberluée.

Comment lui en vouloir ?
Edward lui même avait honte d'être associé à un personnage aussi abject.

La Déesse lune n'interfèrait pas dans le monde qu'elle avait initié. Elle y avait posé des pièges, la magie noire, les instincts cruels liés à son apparition, mais n'envisageait pas une seule seconde d'instaurer la paix et le confort d'un claquement de doigt.

Edward ne l'avait pas connue. Toutefois, il avait appris à la haïr, tout en donnant l'impression de l'adorer.

La plupart des ombrumes étaient pieuses, et Edward n' envisageait pas de ternir leur bonheur, leur espoir en révélant l'égoïsme de leur chère divinité.

Tilly était différente. Elle avait tout de suite compris qu'un détail clochait dans l'option d'une Déesse parfaite qu'on ne pouvait que prier. Pas étonnant qu'elle n'y croie plus.

En revanche, elle croyait aux sortilèges, à la manipulation, au cœur brisé.

Pire que tout, elle croyait au mensonge. À la trahison. Aux ruptures.

Prudemment, Edward s'approcha d'elle.

— Je peux ? lui murmura-t-il en ancrant sa main dans la sienne.

Elle retira son bras, et secoua la tête. Il regarda ses pieds, son coeur se pinça.

— Je comprends. Je n'aurais jamais dû te mentir... J'avais seulement peur que  tu changes d'avis sur moi après...

— Mais qu'est ce que tu racontes ? Tu as une famille. Une mère et un père, qui ne sont ni la Déesse lune, ni le dieu Soleil, mais des ombrumes bien réelles qui sont inquiets pour toi. Qu'est ce qui t'a pris de te cacher ici  ?

Ses parents. Morgane et Jasper. Un couple aimant, brillant, sans histoires. Une sorcière et un dragon, vivant loin de leur famille,  qui n'acceptait pas leur différence.

De plus, Jasper était destiné à un brillant avenir, auprès de la famille royale. Morgane était une mère aimante, drôle et celle que tout enfant rêverait. Celle dont Edward rêvait.

Il les avait choisis. Divin, il avait modifié son âge, pris l'allure d'un adolescent. Ensuite, il n'avait eu qu'à les convaincre.

Les convaincre que le couple l'avait élevé depuis sa naissance. Les convaincre qu'il était né de leur amour, de leur union. Les convaincre que Morgane pouvait enfanter malgré la malédiction que lui avait jetée sa propre mère.

Les convaincre qu'ils formaient la petite famille idéale.

De tous les pouvoirs que lui avaient octroyés sa chère maman, celui de persuasion restait le plus redoutable. Ses paroles devenaient  vérité. Elles restaient ancrées à jamais dans la tête de ses victimes, et modifiaient leurs souvenirs.

L'utiliser sur Tilly aurait été un jeu d'enfant. Mais jamais Edward n'oserait user de ses dons sur sa petite amie, même si cela signifiait la perdre.

— Ma mère est bien une Déesse...Tu dois me croire, Tilly. Ou laisse moi au moins te le prouver.

Hésitante, elle avança vers lui, et lui présenta ses mains, à moitié repliées. Il ne laissa pas passer sa chance et les saisit. Un frisson parcourut le dos de sa belle.

Edward avait été envoyé dans le monde des Ombrumes le jour de sa naissance. Son père l'avait élevé, et chéri. Il n'avait jamais cherché à lui cacher ses racines, ni le titre que la Déesse lui avait donné, demi-dieu de la connaissance.

Un nom bien pompeux, pour l'immortel qui ne devait son érudition qu'à deux choses.

La première était son excellente mémoire, utile pour retenir chaque note qu'il lisait.

La seconde, ses visions. Des flashs aléatoires. Des bribes du passé ou du futur, qui influencaient sur son présent.  Si Edward ne pouvait les contrôler, rien ne l'empêchait de s'en servir pour modifier l'avenir.

En effet, aucune de ces prémonitions n'était inéluctable, encore fallait-il trouver comment l'éviter. Un Jeu bien dangereux.

— Tilly... Dis quelque chose... la supplia - t-il alors que la princesse retrouvait lentement ses esprits.

Il lui avait dévoilé son plan. Ses pouvoirs, son histoire.

Trop d'informations pour une personne saine. Hébétée, la princesse garda le silence.

— J'ai toujours été sincère avec toi dans mes sentiments. Je t'aime vraiment Tilly, et j'espère simplement... que... tu me laisseras une nouvelle chance.

Peut-être devrait-il la laisser seule. Peut-être aurait-il dû poursuivre la mission qu'il s'était donné, au lieu d'accorder tant d'importance à sa relation ébranlée.

Mais c'était plus fort que lui : son cœur palpitait dans l'attente d'une réponse.

Quelques années plus tôt, une vision l'avait assailli : un tableau dans lequel le pays des dragons s'effondrait, dévoré par la glace.

Il lui rappela un événement tout aussi tragique, qu'il n'avait pu annuler : la destruction du royaume des chevaliers, les metamorphes. Un peuple entier avait péri. Tout ça à cause d'une vision trop vague et d'un manque de réaction de sa part.

Qui avait-il pu secourir ? Seulement une petite fille. Probablement la dernière métamorphe de ce monde. Il l'avait installée dans une forêt, là où personne ne lui ferait du mal.

Or, après ce jour, il s'était juré que ce drame ne se reproduirait plus.

Alors, il s'était renseigné. Il avait parcouru mille ouvrages pour comprendre l'origine du froid polaire. Une fois ses questions éclairées, il s'était arrangé pour surveiller de près la princesse Calissa. Quoi de mieux qu'un mariage arrangé.

Seul imprévu : il n'imaginait pas tomber sous le charme d'une autre princesse.

Une princesse, qui enfin ouvrit les lèvres  :

— Explique moi comment sauver le royaume.

Brun Cannelle (terminée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant