3- Mieux Que Les Autres

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—Préparez mon cheval.

D'une voix séche, Cali évita de regarder la palefrenière dans les yeux. Elle détestait devoir traîner dans les écuries. Pire que tout, elle détestait se sentir épiée, subir cette humiliation qui lui serrait le cœur et lui brûlait le dos.

Parce qu'à son âge, tout le monde se déplaçait en volant. Tout le monde se changeait en dragon, prêt à parcourir plus de routes qui mille chevaux.

Tout le monde, sauf elle.

Elle avait d'abord tenté de masquer son défaut, laissant toujours des écailles , mêlées de boue et de brindilles, sur le pas de sa porte. Mais les rumeurs avaient commencé à courir, et sans preuves, la vérité avait fini par éclater.

Un jour bien terrible pour la jeune princesse,  alors seulement  âgée de douze ans. Des roturiers s'étaient massés devant le portail du palais, avec à la main des courges pourries et des fruits gluants. Ils avaient bloqué le carrosse de Cali. Les chevaux avaient henni, oppressés, et manqué de rompre os et crânes dans le tumulte.

Tilly et Cali étaient restées presque une heure, à essuyer les insultes et la chaire de citrouille qui salissait les vitres.

Toutefois, si le verre les protégeait des déchets, rien ne leur épargnait les cris.
Le peuple ne voulait pas d'une héritière sans pouvoir. Ils accusaient  la fille aînée —de quelques minutes seulement —d'être  sans liens avec la famille royale. Certains exigeaient que Tilly prenne sa place, et son titre de future reine. Elle, qui depuis deux ans, virvelotait comme une colombe dans le ciel.

Cali se souvint avoir beaucoup pleuré , adossée contre son siège. Sa sœur avait tenté de la rassurer, répétant que jamais une seule princesse n'avait eu ne serait-ce qu'un quart de son courage et de sa force d'apprendre . Mais Cali s'en moquait : rien ne lui importait plus que l'avis de son futur  peuple.

Et il lui importait toujours.

Elle caressa l'encolure de Rubis, son cheval favori. Il possédait une robe rousse, une particulité rare dans le royaume, qui augmentait sa valeur. Néanmoins, si Cali l'appréciait autant, c'était pour sa rapidité exemplaire. A ses côtés, elle avait enfin l'impression... de s'envoler. Sur son dos, elle contournait les vents, galopait sur les plaines arides et trottinait prudemment sur les routes escarpées des volcans.

Cali se prépara à enfourcher sa monture sous un silence de tombe, quand une voix la retint, et manqua de la faire dégringoler.

— Votre Altesse  !

La domestique, Marisa, jeta un regard irrité au nouvel arrivant, et Calissa leva les yeux au ciel. Un simple paysan qui ne méritait pas qu'elle perde son temps précieux, peu importe ce qu'il comptait lui demander. Elle nota ses tâches de rousseur, sa maigreur infâme, son nez aquillin et ses yeux turquoise qu'il partageait avec la palefrenière. Sans doute étaient ils de la même lignée.

— Vôtre Altesse, répéta le garçon, attendez !

— Terence, non! grogna Marisa en le tirant par le bras. Votre Altesse, veuillez excuser mon frère, il va très vite repartir au village  et..

— Mon père ne méritait pas d'être traité de la sorte, défendit le jeune homme.

Son père ? Qui donc ?

— Terence, tais-toi !

Il n'écouta pas sa sœur. Grave erreur. La Princesse mit un pied dans l'étrier, et sauta sur le dos de sa  monture : elle avait la nécessité  de prendre de la hauteur. De rappeler à cet ignare qui le gouvernait.

— Mon père n'avait que ce travail pour vivre, c'était un excellent professeur.. et vous l'avez mis à la porte. Il n'avait rien fait.

Cali plissa les yeux, interdite.

— Il va falloir être un petit peu plus précis. Des professeurs mis à la porte, j'en connais des tas.

— Rodrigue Elios, votre dernier professeur d'histoire.

— Ah, lâcha - t-elle, avec désinvolture, les nouvelles vont vite à ce que je vois. Je l'ai renvoyé ce matin.

Puis, bride en main, elle se tourna vers la pauvre Marisa qui tremblotait sur ses sabots de bois claquants.

— C'est vous qui lui avez ouvert la porte  ?

La langue de la domestique sautilla avant de pouvoir libérer un mot distinct.

— Je... oui, votre Altesse. Il m'avait assuré qu'il souhaitait simplement me rendre visite, je ne pensais pas qu'il vous importunerait...

L'idiote.

— Le palais n'est pas un moulin ! Vous êtes simplement autorisée à faire entrer les chevaux, et les animaux de la ménagerie royale. Encore un faux pas de ce genre, et vous rentrez retrouver votre père ! Suis-je bien claire ?

Calissa ne détenait aucun grand secret sur la petite palefrenière, mais elle connaissait l'essentiel  : son amour des chevaux, et la pauvreté de leur famille. Cela lui suffisait.

— Limpide, votre Altesse, répondit-elle en se reculant.

Comme si un équidé l'avait subrepticement appelée, elle se précipita vers les écuries, sa brosse à la main.

Son frère, quant à lui, ne s'échappa pas. Ni vers les boxes des grands chevaux, ni vers la sortie où la princesse l'avait invité d'un mouvement de tête.

— Mon père, recommença-t-il comme un automate....

Désespérant...

— Votre père était fermier avant. Il a changé de profession, après avoir ravagé lui même votre ferme familiale.  Vous êtes  devenus pauvres, il a perdu sa jambe et sa femme à cause de son erreur, et il a falsifié ses diplômes pour accéder au rang de professeur. Pour petit à petit atterrir au palais et être grassement payé. Dommage pour lui sa carrière vient de prendre fin.

— Vous mentez ! osa l'insolent.

Elle haussa le menton. Au delà du domaine, le ciel se teignait d'or et de rubis. Cali repensa à la lettre, et au temps qui lui était compté.

— Mentir, répéta-t-elle, la bouche en rond. Sur un sujet aussi grave  ? Je peux dissimuler la vérité, insister sur  les faits, tourner les choses à mon avantage...mais mentir, je trouve cela déplaisant. Il n'y a rien de plus affreux que de subir les répercussions d'une fausse rumeur. Votre père est un escroc, faites avec.

Sur un dernier coup de talon contre le flanc  de sa monture, elle lança Rubis au triple galop dans les herbes broussailleuses, en direction des bois sombres et des arbres dénudés.

Brun Cannelle (terminée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant