Soliloque

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12. 05. 2024

Lundi, tu m’ appelles vers 15 h pour annuler notre séance de 18h30 fixée ce jour en raison du décès d’ une petite fille de ta ( notre) région. Bien que sur le coup, je t’ exprime toute ma compréhension face à ce drame dont j’ ignorais tout jusqu’ à présent, je demeure perplexe concernant ta réaction suivante : « Comment, tu n’ es pas au courant ? »

En effet, dans ta formulation, j’ y perçois un reproche de ta part comme si il s’ agissait d’ une évidence pour Toi que je fusse au courant de cette situation. A vrai dire, mon esprit était ailleurs que dans les actualités régionales puisque ma Charlotte adorée était en vacances à la maison durant cinq jours avec toutes les guindailles engendrées par les réunions entre amis. ( Eric et Titi étaient aussi de la partie). De ce fait, je ne suis que très peu allée sur les réseaux sociaux et cette tragédie m’ a échappée.

Ceci- dit, nous fixons un nouveau rendez- vous ce mercredi à 19h15. Aussitôt la conversation terminée, je m’ empresse de lire sur le net les articles concernant cet incendie dans lequel a péri une petite fille prénommée Eloïse à peine plus âgée que Eve. J’ y vois les nombreux appels aux dons pour aider sa famille dont la maison a complètement brûlé.

Puis, les frissons parcourent mon corps car je réalise subitement qu’ il s’ agissait de mes anciens voisins ; j’ avais serré Eloïse bébé dans mes bras lorsque j’ étais enceinte de Eve ! Des souvenirs pénibles remontent alors à la surface : j’ en étais à cinq mois de grossesse et venais d’ emménager face à la librairie ; ma voisine, la maman de Eloïse, était quant à elle sur le point d’ accoucher et nous avons sympathisé.

Je conserve d' elle l’ image d’une dame tout sauf rayonnante : elle semblait lasse, discrète, effacée. Dès que son compagnon rentrait ( toujours saoul), jour après jour, j’ entendais des cris, des pleurs, des coups pleuvoir, des meubles voler, de la vaisselle casser…

A la naissance de leur petite fille, rien n’ a changé à tel point que mon compagnon et moi- même avons averti la police. Mais à notre grand désarroi, il nous a été répondu sèchement que tant que cette jeune femme ne déposait pas plainte, rien ne pouvait être fait. Les mois passèrent sans changement et un matin, elle était retournée en France avec son bébé… Fin du calvaire, pensai- je à l’époque... »

Il s’ensuit un double- choc au plus profond de mon être : le premier était de m’imaginer ce petit ange tenter d’ échapper aux flammes, se réfugier près de la fenêtre pour finalement sauter et s’ écraser au sol, le second fut d’ apprendre qu’elle avait été confiée à ses grands-parents paternels ( alcooliques notoires) entre les séjours réguliers de son père en prison et ainsi privée en grande partie de sa maman.

Puis de nombreuses questions fusèrent de toute part dans mon esprit quant aux circonstances de l’ incendie : « Comment les grands-parents ne se sont- ils pas rendus compte à temps que le feu ravageait la chambre de la puce au point de ne plus pouvoir intervenir pour la sauver ? Comment ont- ils pu sortir indemnes avec les autres enfants alors que Eloïse étouffait dans sa chambre ? Et enfin, comment ont- ils pu regarder leur petite- fille sauter du second étage sans tenter avec les autres badauds d’ amortir sa chute ? »

Et la colère s’empare de moi, la moutarde me monte au nez en tentant l’ impossible représentation d' une tragique scène dans toute son atrocité : l’agonie d’ une enfant vouée à une mort inéluctable ! Alors oui, j’ en veux à la terre entière !!! D’abord aux grands- parents qui ont fait preuve de négligence et ont rompu sciemment le lien mère- enfant : le temps que Eloïse mette le feu à son nounours, tente d’ éteindre les flammes avec des linges ; que tout s’ embrase, la fumée attirant les enfants de l’ extérieur ( ceux- là mêmes qui ont sonné à la porte et prévenus ainsi les grands- parents) ; mais que faisaient- ils durant ce temps ? Dans quel état se trouvaient- ils donc pour ne point réagir plus tôt ? Ensuite, à tous ceux qui leur manifestent un soutien notamment par cette fameuse collecte de vêtements et de meubles pour les reloger. Et pour terminer, je t’ en veux à Toi car tu fais partie de ces derniers… C' est un peu comme si, quelque part, par cet appui massif, les villageois cautionnaient les actes des adultes qui ont irrémédiablement menés à l' irréversibilité des faits!

L' Antre-NousTome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant