3. Le labyrinthe de la vie

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Un jour, Ernest Hemingway a écrit :
« Nous devons nous y habituer : aux plus importantes croisées des chemins de notre vie, il n'y a pas de signalisation. »
Je crois qu'il a raison. Mais je prie tout de même pour qu'il ait tort.

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Il ne s'était pas écoulé très longtemps avant que je ne me sois décidée à laisser la fermeture du magasin à Mei. Juste après le départ des deux femmes que j'avais bel et bien remboursé, je fus prise d'un élan impulsif. J'étouffais à mon propre travail. Les mots de Mei, bien que très encourageants, me laissaient complètement de marbre. Je n'avais plus envie d'entendre personne. Je n'avais pas envie de repenser à la cruauté que les hommes pouvaient se montrer les uns envers les autres. Non. J'en avais juste eu plein le dos. Il était grand temps que je quitte mon boulot un peu plus tôt, ce que je n'avais pas fait depuis le dernier Nouvel An.
C'est ainsi que, sans vraiment savoir où j'allais atterrir, j'avais commencé à cumuler les pas sur l'asphalte bouillant de la capitale nippone. En ligne de mire, bien sûr, le quartier d'Arakawa, où se situait mon modeste appartement. Je n'étais pas contre un détour, malgré que je n'en voyais pas vraiment l'utilité. Il fallait simplement que je marche, sans but, jusqu'à atteindre un point suffisamment loin pour me faire recouvrer un calme olympien.

Sur le chemin, je ne pus que constater les rues toutes plus bondées les unes que les autres. Les touristes tournaient en rond, au milieu de la multitude de mondes suant au soleil. L'air était toxique. Il n'y avait pas la moindre trace de vent pour se rafraîchir. Que cette maudite chaleur à s'en évanouir. À chaque coin de rue, les passages piétons, les feux rouges et les interminables files dans chaque boutique me donnaient la nausée. Je connaissais pourtant Tokyo depuis mes sept ans, j'avais eu le temps de m'y habituer. Néanmoins, j'en avais le tournis. Le monde, avec cette masse constante d'inconnus et cette impression omniprésente de s'asphyxier, ne m'évoquait que du désespoir. Ce qui n'aida pas la fin de mon trajet à être plus agréable.

Lorsque j'étais sur le point d'atteindre ma destination, j'aperçus au loin les nombreux profils des HLM de plus en plus géométriques se dessiner. Arakawa, contrairement à la majorité des quartiers appréciés des touristes, n'était pas connu pour avoir un charme fou. C'était clair. Cet endroit avait toujours respiré autrement. Les habitants, pour la plupart d'humbles familles, se faisaient tous discrets. D'autant plus lorsque la plupart avaient passé la journée amassés au milieu de l'agitation.
Comme tous les soirs, juste avant d'arriver à mon immeuble, je jetais un regard en direction du charmant petit parc pour les gamins des résidences aux alentours. Pour une fois depuis des années, je pris la peine de m'y arrêter. Les quelques arbres offraient aux deux vieilles balançoires un semblant d'ombre. Une dizaine d'enfants, sans doute les plus courageux, jouaient et riaient autour du nouveau toboggan que nous avait gracieusement offert la ville. Et moi j'étais là, comme un piquet, à sentir la mélancolie des années passées ici me submerger.

Un peu plus tard, quand ma colère s'envola enfin, je vis apparaître les quelques portes de mes voisins de palier. Toutes étaient dotées de cette même serrure en un point pour plus de sécurité, ainsi que cet encadrement espacé d'un même millième de centimètres entre elles. Ici, c'était la morosité qui régnait. Elle nous crachait à la gueule que nous ne méritions pas mieux, ce qui était la plupart du temps vrai.
Mes pieds foulèrent l'espace viable entre chaque paillasson du couloir ouvert sur l'extérieur, pendant que mes yeux s'arrêtèrent sur les quelques ouvriers jouant avec leurs marteaux-piqueurs. Ça en devenait presque ironique. Toutes ces marques de bienvenue de la part de mes voisins, et ce bruit désagréable de travaux en fond pour y apposer la bonne ambiance.
Et finalement, en traçant ma route, je me stoppais devant la dernière porte de l'étage cinq. Celle où je vivais. Contrairement à toutes les autres, il s'y dégageait une aura sinistre, qui dissuaderait n'importe qui d'entrer. Il n'y avait même pas de paillasson pour s'essuyer les pieds. Rien que ces morceaux de PVC imbriqués les uns aux autres autour de l'encadrure vieillotte. Depuis le temps, les joints avaient tellement jauni qu'ils étaient à présent bruns, voire noirs. Et c'était tout. Aussi basique qu'oubliable : la seule « maison » que je n'avais jamais connue.

Blooming (Shoto fanfiction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant