Chapitre 6 : Les jumeaux (4/4)

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Lazare s'en voulait terriblement.

Lorsqu'il avait accouru dans la cathédrale à la suite des premiers coups de feu, le jeune lieutenant avait trouvé sa sœur perchée au loin sur un agrégat de roches, surplombant les quatre soldats des forces spéciales et une dizaine de cadavres sanguinolents.

Si sa première réaction fut tout d'abord emplie de soulagement et de reconnaissance, son attention s'attarda rapidement sur le sang qui perlait des armes d'Elena, puis sur son regard. Oh son regard, pensa-t-il. Cela l'avait effrayé de récupérer sa jumelle dans un tel état.

Il se devait d'être irréprochable. Or, il n'avait pas senti la présence du groupe. Les conséquences auraient pu être tout autre. Sa sœur s'était retrouvée en danger.

Son arrogance lui jouait déjà des tours. Il se devait d'ancrer rapidement dans son cerveau étriqué que, dorénavant, Elena et lui ne se trouvaient plus sous aucune protection. Ils affrontaient maintenant les incertitudes du monde extérieur. Fini, la sécurité familière de l'Europe.

Elena, sa douce sœur, venait de tuer pour la première fois. Il n'osait la confronter directement, car ne sachant comment aborder le sujet. Pour le moment, Lazare préférait lui laisser un peu d'espace.

Une pensée incessante lui torturait toutefois l'esprit. Qu'avait bien pu ressentir Elena lorsque ses lames avaient tranché la chair humaine, aspirant la vie de ses victimes ? Une pointe de jalousie l'animait, ce qui le perturbait tout en le culpabilisant.

Oui, Lazare s'en voulait terriblement.

***

— Et là, elle est sortie de nulle part, comme si les ténèbres venaient de la relâcher et, oh, les gars, arrêtez de rire, je vous assure que je n'exagère rien, s'exclama Amin, un poil irrité.

— Désolé, désolé, Am' ! Continue ! l'adjoignit Fabio, le sourire aux lèvres.

— Oui, donc, tout à coup, elle apparait, ses deux épées en main. Vous auriez vu à quelle vitesse elle exécutait ses mouvements. Ils n'avaient aucune chance. Roh ! Mais arrêtez de vous moquer ! Dites-leur ! Magdalena, Noah ! Vous aussi, vous étiez là.

Magdalena, Noah et Simona, eux, ne riaient pas, et devant l'expression de leurs visages les autres soldats cessèrent également. Ils n'eurent pas à valider le propos de leur frère d'armes, leur langage corporel témoignant pour eux.

— Il faudrait le voir pour le croire. En un coup, elle en a presque décapité deux. Ses bras n'ont pas tremblé, c'était impressionnant.

Amin prit une pause. Se remémorant la scène en silence. Silence qui, avec lui, ne durait jamais indéfiniment.

— Et dire que je me moquais d'elle, avec ses deux épées dans le dos. Je vous le jure, je ne le ferai plus. Wouah... cette femme.

— On dirait qu'Amin a trouvé l'amour, le taquina Fabio. Mais au vu de ce que tu nous racontes, ne devrais-tu pas être effrayé plutôt ?

— Stupide rital ! Tu ne poses pas les bonnes questions. Peu importe que je sois sous le charme ou apeuré. Ce qui compte, c'est de savoir qui elle est et de quoi d'autre elle est capable.

Dans l'aile droite du Corbeau, les soldats gardèrent le silence, plongés dans de tumultueuses pensées. Les forces spéciales formaient d'une manière bien particulière leurs recrues, les rendant plus vifs, forts et précis que n'importe quel humain normal. En d'autres termes, si une personne leur apparaissait comme très rapide, celle-ci ne pouvait être entièrement humaine.

Amin, à l'image de ses trois autres compagnons, avait pour la première fois appuyé sur la détente dans l'intention de tuer. Il ne savait pas si une ou plusieurs de ses balles avaient réalisé son œuvre funeste. Il était toutefois incontestable qu'elles avaient rencontré à plusieurs reprises la chair de leurs assaillants. Avaient-elles porté le coup fatal ? Ou les tirs de ses frères d'armes s'en étaient-ils chargés avant ? Cela, il n'en avait aucune idée, ce qui le réconfortait tout en le rendant fou. Il tentait de rationaliser son incertitude, se convainquant à grand-peine d'avoir agi de la meilleure des façons. Ou du moins de celle qu'on lui avait enseignée.

Ce soir-là, Amin rêva de son IDC 15, de sang et de lames aux éclats d'argent sifflant à ses oreilles. Sa nuit fut extrêmement courte et déplaisante.

***

Elena s'était réfugiée dans la soute du Corbeau, à l'arrière d'un des véhicules tout terrain, roulée en boule, la tête posée contre ses genoux repliés.

Cela faisait plus d'une heure qu'elle s'y était enfermée, et depuis, la jeune femme n'avait pas bougé d'un centimètre. Alors que le Corbeau élisait domicile dans une vaste prairie à l'herbe haute pour y passer la nuit, Elena ne réussit pas à trouver le sommeil, hantée par cette première journée en Argentine.

L'Héritage des Ombres : La Fille de la NuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant