Chapitre 6 : Les jumeaux (2/4)

10 4 9
                                    

Dans le cockpit l'ambiance se révélait tout autre. Ici, pas d'alcool et encore moins de jeu. Juste un pesant silence, et trois personnes scrutant le ciel en direction d'un continent qui tardait à se montrer.

Lazare Delacroix, aussi stoïque que d'accoutumé, réfléchissait à s'en faire exploser la tête. Une multitude presque infinie de questions se bousculaient sans relâche dans son esprit. L'épreuve qui les attendait, lui et sa sœur, était d'une ampleur et d'une difficulté terribles. Les incertitudes, de plus en plus nombreuses, lui barraient le chemin menant à l'excitation. Toutefois, le jeune homme ne pouvait se permettre d'avoir peur. Il s'efforçait donc de conserver au mieux son calme extérieur. Afficher ses appréhensions devant Elena ne serait qu'un aveu de faiblesse, et Lazare la connaissait suffisamment pour savoir qu'elle ne le lui pardonnerait pas. Sa sœur, elle, ne craignait que très peu de choses dans ce bas monde.

Lazare la regarda discrètement.

Assise à équidistance du pilote et de son frère, positionnée à l'arrière à ses côtés, Elena fermait ostensiblement les yeux. N'importe qui aurait pu s'y méprendre, mais pas lui. Elle ne dormait pas. Tout comme Lazare, elle se posait à l'évidence un grand nombre de questions. Jumeaux, ils avaient passé le plus clair de leur temps ensemble depuis leur naissance. Selon leur mère, aucune glue au monde ne pourrait être plus collante que leur relation. Elle aimait leur répéter que rien n'aurait jamais la capacité de les séparer, et que c'était en cela que résidait leur force.

L'avion s'agita à nouveau, aux prises avec des rafales d'une violence déstabilisante. Lazare ferma les yeux à son tour, avant de les rouvrir presque immédiatement.

— Vos disciples sont-ils toujours aussi... festifs ? demanda-t-il l'air de rien au caporal, pilote de fortune du Corbeau.

Benedikt Hohenberg, un homme dur et imposant d'une soixantaine d'années, se contenta de grogner pour toute réponse, ce qui déplut légèrement au jeune lieutenant. Loin de vouloir lâcher le morceau, il repassa à l'attaque.

— Est-il normal qu'ils boivent autant à la veille d'une mission ? Excusez-moi d'insister, Caporal, mais je me vois contraint de vous le demander.

Sans montrer le moindre signe d'agacement, le caporal délaissa les commandes de l'engin et se retourna pour fixer le présomptueux lieutenant. Celui-ci lui rendit son regard, ses yeux bleus semblant crépiter.

— En effet, Lieutenant Delacroix, il est tout à fait normal que mes disciples fêtent leur entrée dans la cour des grands. Une première mission doit être célébrée comme il se doit. C'est une sorte de tradition chez les soldats d'élite. Mais j'imagine que vous le saviez déjà.

Ce fut au tour de Lazare de grogner.

— La logique d'une telle tradition me laisse pantois... Pourquoi ne pas célébrer la première mission après sa réussite ? De plus, le concept de tradition s'ancre souvent dans un schéma de temps exceptionnellement long. Comment a-t-elle pu se créer en à peine deux décennies ?

— C'est vous le savant ici, à ce que je vois. Je vous laisse donc le loisir de trouver la réponse par vous-même, Lieutenant.

Le caporal rompit le contact visuel pour se concentrer de nouveau sur le vol.

— Vous avez entièrement raison. Mon intention n'était nullement de vous froisser, sachez-le, dit Lazare de sa voix trainante.

Le pilote se chargea de conclure la discussion d'un original grognement dont lui seul avait le secret.

Un rire cristallin résonna dans le cockpit et les deux hommes ne purent s'empêcher de se retourner en direction de l'agréable son. Elena, les yeux toujours fermés, se fendait d'un large sourire secoué par intermittence de légers spasmes. Comme si elle retenait son merveilleux rire de s'échapper à nouveau de sa fine bouche.

L'Héritage des Ombres : La Fille de la NuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant