Chapitre 5 : Les retrouvailles (1/4)

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Quantin, aussi patient fût-il, n'était pas du genre à passer la journée à attendre sous un baobab sans rien faire. Ainsi, voyant que cette activité semblait être la favorite de la déesse, il entreprit rapidement des petites excursions aux alentours.

Cela faisait déjà trois jours que Mnyahabu l'avait convoqué, et toujours aucun signe de son ancien ami. Peut-être s'était-elle trompée ? Il en doutait fortement. Falco se trouvait bel et bien sur le territoire. Pourtant, il se laissait désirer, contrastant considérablement avec sa tendance maladive à l'action irraisonnée. Peut-être que ces vingt dernières années lui avaient permis de mettre de l'eau dans son vin.

Loup blanc ne pouvait s'empêcher de se remémorer tous les souvenirs qu'il lui restait de Falco, les bons comme les mauvais. Ils affluaient de manière chaotique et discontinue, l'abreuvant d'amertume et de regrets. Son ami avait certes sombré dans une folie meurtrière des plus atroces, mais lui, Quantin, n'avait rien fait pour le raisonner. Pire, il y avait très largement contribué, perpétrant lui-même des horreurs qu'il ne saurait se pardonner. Lorsqu'il n'en avait réalisé l'ampleur de tous ces massacres, de tout ce sang versé, de toute cette douleur provoquée, Quantin s'était réfugié lâchement en Afrique sans même un « adieu ». Il avait rejoint Mnyahabu qui commençait depuis peu sa révolution.

Quantin craignait plus que tout que Falco soit revenu pour se venger de son affront, de son abandon. Son ancien ami ne pardonnait pas facilement et la trahison faisait partie des actes qu'il tolérait le moins. Il ne comprenait pas que sa punition ne soit pas déjà intervenue. « La vengeance est un plat qui se mange froid » n'était pas le mantra favori de Falco ; au contraire, plus elle était saignante et instantanée, mieux il se portait.

Alors qu'il se promenait depuis presque deux heures, il s'arrêta au bord d'une fine rivière, serpentant au milieu des grandes étendues arides. Il se déshabilla entièrement et s'allongea de tout son corps sur la rive, seule sa tête dépassant du rafraîchissant liquide. Il se laissa tranquillement aller et s'endormit après quelques instants.

***

Les éclairs de lumière et les explosions l'entouraient de toute part, la fumée lui piquant les yeux et lui obscurcissant la vue. Les rayons du soleil se frayaient difficilement un chemin à travers la poussière s'échappant des débris. À ses côtés, il apercevait un homme aux cheveux très courts, la corpulence massive, le dépassant de facilement deux têtes. Il frappait avec rage des soldats qui, quelques instants auparavant, le menaçaient de leurs fusils mitrailleurs. Chaque coup qu'il portait faisait l'effet d'un poids lourd percutant un mur chétif. Les os des soldats se brisaient les uns après les autres à un rythme effarant. Ils hurlaient, geignaient, suppliaient, mais l'immense bonhomme n'y prêtait pas attention et continuait inlassablement à les écraser.

Non loin d'eux, un bâtiment s'écroula et le sol fut violemment secoué, rendant les appuis difficiles à tenir. Les alentours sombrèrent d'autant plus dans une sorte de brume épaisse et grise, suffocante. D'autres hurlements de terreur résonnèrent, surgissant de derrière lui. Quantin se retourna et aperçut succinctement de longs cheveux noirs et deux lames dansant à une vitesse folle. L'apparition se mouvait avec grâce et précision, tandis que ses adversaires tombaient sans même comprendre qu'ils venaient d'être fauchés. S'ensuivait la mélodie angoissante et horrible des cris d'agonie.

De plus en plus conscient des scènes se déroulant autour de lui, Quantin se rendit alors compte que gisaient à ses pieds de multiples cadavres. Ils avaient tous sur l'épaule droite un soleil doré comme symbole.

Des pas précipités se firent entendre et trois soldats jaillirent de l'épaisse fumée, puis se jetèrent sur lui. Avant même d'avoir pu esquisser le moindre geste, Quantin remarqua l'apparition d'une ombre entre lui et ses assaillants, comme surgissant du néant. Celle-ci, rapide et efficace, se débarrassa instantanément des trois soldats. Surplombant de sa hauteur les cadavres encore frais, l'ombre se retourna, dévoilant un visage démoniaque aux yeux aussi ardents que le feu des enfers.

***

Quantin se réveilla d'un violent sursaut. Il mit quelques secondes avant de retrouver ses esprits. Alors qu'il se levait lentement, il pouvait encore apercevoir ces yeux rouges qui le hantaient sans pitié depuis deux décennies. Il pesta. Ces derniers temps, les cauchemars avaient presque disparu. Ce n'était pas suffisant pour Falco de le pourchasser dans ses rêves, il fallait désormais qu'il vienne également le tourmenter dans la vraie vie, en réapparaissant de nulle part, comme toujours. 

L'Héritage des Ombres : La Fille de la NuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant