L'Héritage des Ombres : La Fille de la Nuit

Prologue

Elle avait déniché la Mort avant que celle-ci ne la trouve.

Thanatos, avachi au sol tel un vieil homme incapable de se relever après une perfide chute, n'ayant pour articulations que douleurs et regrets, observait la silhouette sombre qui le dominait à l'entrée de la grotte.

— Les lueurs de la nuit, pénombres du présent, éblouissent les pécheurs de leur jugement inévitable. Fuyez, fuyez, pauvres mécréants, la Faucheuse n'a de compassion aucune et son verdict est définitif. Fuyez, fuyez, pauvres mécréants, même si la mort est inévitable, récita la divinité.

Un rire cristallin, mais sans joie, accueillit la citation.

— Je ne pensais pas que tu me rendrais visite si tôt, Faucheuse. Je t'accorde toutefois que tes fidèles savent se jouer des mots.

Sa vue n'était plus aussi perçante qu'autrefois, certes, mais il pouvait toujours ressentir les émanations de puissance se dégageant de la Faucheuse.

— Les choses sont telles qu'elles sont, Dieu de la Mort. Vous plus que quiconque devriez le savoir. Après tout, la mort est inévitable. Même pour moi.

Si Thanatos était bien incapable de discerner le sourire ironique qu'elle lui adressait, il n'éprouvait aucune difficulté à l'imaginer.

— Il s'agit d'une demeure bien humble pour un Dieu. Je ne peux m'empêcher d'être déçue. Je m'attendais à quelque chose de plus... eh bien, grandiose.

— La mort n'est pas grandiose, Faucheuse. Je dirais même qu'elle est affreusement banale.

L'intruse ricana.

— D'où la grotte donc...

— J'ai suivi tes exploits avec attention lors de la Grande Guerre. Je n'ai jamais eu l'occasion de vous remercier pour vos offrandes et le spectacle. Ton partenaire n'était pas en reste non plus, mais il y avait chez toi quelque chose de tellement primitif, si brutal et animal... La mort a beau être banale, je reconnais que vous avez su lui redonner un certain intérêt à mes yeux. L'ensemble de cette guerre a eu cet effet. Si horrible. Si globale. Les âmes ne cessaient d'affluer à un rythme si soutenu... Du jamais vu.

— Pourtant, vingt ans plus tard, vous ne ressemblez à guère plus qu'un simple squelette, remarqua la visiteuse impromptue.

Un sourire se dessina à son tour sur les lèvres sèches et craquelées de la divinité.

— Je suis un dieu mourant, mon enfant. J'ai vécu des millénaires et des millénaires. Les premiers siècles étaient merveilleux, je ne vous le cache pas. Cependant, on se lasse bien vite de la répétitivité de la mort. Lorsque j'ai compris que l'humain ne vivait que pour mourir, le caractère délicieux de ma raison d'être s'est rapidement effrité.

Il sentait les orbites sombres de la Faucheuse l'étudier, le disséquer.

— Si banale, voyez-vous ? ajouta le Dieu de la Mort. Malheureusement, la mort tarde pour nous autres.

— J'ai vu des dieux mourir, assena la Faucheuse.

— En effet, selon les époques, les dieux apprécient plus ou moins se mettre en danger. Votre Grande Guerre en est bien entendu l'illustration parfaite. Toutefois, et à mon plus grand regret, la lâcheté est ma principale caractéristique. Je n'ai jamais pu m'abstraire de la peur de ne plus être, alors que la mort me délivrerait de l'enfer qu'est devenue ma vie.

Le silence s'installa. Les minutes s'étirèrent en heures. Cela faisait bien longtemps que Thanatos ne prêtait plus attention au temps, un simple détail dans l'immensité de l'immortalité. Immortalité qu'il conservait et alimentait par sa peur obsessive du néant. Cette peur, traitre sentiment lui barrant la route de la délivrance, s'était intensifiée depuis la récente guerre, ce qui expliquait sa retraite dans les confins du monde, ainsi que la banalité de la grotte et de son allure. La peur l'isolait, et l'isolation le dévorait, mais son existence prévalait. 

— Vous savez pourquoi je suis ici.

— Oui, Faucheuse. Il est temps pour vous de passer à l'étape suivante de votre existence, dit la Mort.