Chapitre 1 : Une journée presque comme les autres

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Falco ouvrit les yeux. 

Le soleil s'insérait depuis peu par les fenêtres grandes ouvertes de la cabane, éblouissant la simple demeure d'une lueur douce et réconfortante. Cette nuit encore, aucun rêve n'était venu déranger son lourd sommeil.

Rafa dormait toujours sur le tapis à côté du lit, de légers ronflements ponctuant chacune des expirations de la panthère. L'homme observa un long moment le splendide félin, dont l'oreille gauche était abimée et repliée sur elle-même telle une fleur la nuit venue. Même endormi, ses dimensions extraordinaires se remarquaient aisément. Son corps couvert de poils noirs s'étalait avec flegme sur une majeure partie de la salle. Le spécimen était deux fois plus imposant que le reste de ses semblables.

L'intérieur de la maison, très spacieux, contenait sur tout un pan de mur une immense bibliothèque en bois. Celle-ci débordait d'une grande variété d'ouvrages — les romans et pièces de théâtre y étant surreprésentés —, ainsi que d'épais manuscrits recueillant les pensées et les états d'âme du doyen de ces lieux au fil des ans. Avec le temps, l'écriture était devenue l'arme favorite de Falco pour combattre la solitude, mais pas uniquement ; il avait rencontré en Patagonie un ennemi nouveau, un ennemi féroce qui ne vous lâchait que difficilement une fois épris de vous : l'ennui. 

La porte d'entrée franchie, Falco vérifia que les poules et les chèvres ne manquaient de rien, ramassa quelques légumes dans le potager — une poignée de tomates cerises — et s'élança de bon pas en direction du lac. Il connaissait le chemin par cœur, à tel point que, les yeux fermés, il aurait été capable d'éviter chaque arbre, buisson ou racine qui aurait essayé de lui bloquer le passage. Bien entendu, Falco, en sa condition, pouvait très bien décider de se rendre en ces lieux plus rapidement, mais il avait appris à profiter de chaque seconde, à ne plus se presser. Le temps ne s'écoulait plus contre lui, et il lui était enfin offert l'opportunité de savourer chaque instant dans son intimité la plus totale, sans avoir à se soucier de quoi que ce soit. Son unique préoccupation adoptait la forme d'un désir ensorcelant, celui de ne faire qu'un avec cette nature qui l'entourait de manière si maternelle.

Le sentier, sinueux et vallonné, se révélait très bruyant en ce début de journée. Les oiseaux sifflotaient en chœur des mélodies enivrantes et les insectes grouillaient dans une sorte de bruit de fond qui n'était pas sans rappeler à Falco celui des vieilles télévisions prêtes à rendre l'âme. En se concentrant correctement, il était même capable d'ouïr les bourdonnements si distinctifs des abeilles et des frelons, ainsi que les battements d'ailes des papillons peuplant cette gigantesque marée verte débordant de vie.

Falco profita de sa balade vers le lac pour cueillir sur son passage certains mets que lui offrait avec bonté la nature. Sa démarche silencieuse et discrète lui permit de croiser quelques voisins — d'habitude si timides —, tels que des écureuils au flamboyant pelage roux ou encore quelques hérissons aux teintes grises. Après une quinzaine de minutes à naviguer entre la végétation et les animaux, il arriva enfin devant la magnifique étendue d'eau, miroir des dieux, le ventre rempli de fraises sauvages et de quelques baies à la chatoyante couleur violette.

Tout en se déshabillant, il dirigea ses yeux sombres vers le ciel, contemplant l'infini à travers l'ouverture laissée par les gargantuesques montagnes environnantes. Si bleu et ainsi découpé, il semblait se substituer au plus immense des reflets, renvoyant avec fidélité la paisible image du bassin en contrebas.

Enfin nu, Falco s'approcha d'un pas calculé de l'eau froide. Cela faisait maintenant plusieurs mois qu'il venait tous les matins s'offrir un bain de luxe dans cette baignoire calme et hypnotique. Il y restait facilement deux heures, nageant d'un bout à l'autre du lac, sous l'eau avec les poissons ou à la surface au milieu des nymphéas le bordant par endroits. Ces nénuphars à la couleur blanche, caractéristique de leur variété, accueillaient en leur sein une véritable petite communauté d'êtres miniatures. Les rainettes, les libellules et les araignées d'eau cohabitaient avec harmonie dans ce microcosme naturel, et Falco se plaisait à les observer sans les déranger.

L'Héritage des Ombres : La Fille de la NuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant