Chapitre 2 : La Traque

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Fiona et Kim n'avaient pas pour habitude de laisser une proie leur échapper, bien au contraire. Chasseurs hors pair, la louve et son compagnon sévissaient aux côtés de Falco depuis le début de la Grande Guerre, et jamais ils n'avaient failli à leur tâche. Ou presque. Pourtant, les deux prédateurs étaient tenus en échec depuis plus de deux jours. L'odeur qui s'échappait de la mystérieuse cible enflammait leurs narines et leurs esprits. Obsédés par ce besoin viscéral de mettre les pattes sur cette créature à la senteur si spéciale, si étrangère à ces lieux, ils avaient embarqué dans une éprouvante battue.

Ces vingt dernières années, les deux loups noirs se contentaient de débusquer les quelques gibiers que leur fournissait la nature patagonienne. Et la tâche ne se révélait clairement pas à la hauteur des talents incroyables inhérents aux deux bêtes. L'excitation provoquée par une bonne chasse, une vraie traque — où l'issue n'était pas écrite à l'avance —, leur manquait plus que de raison. Voilà pourquoi ils se lançaient corps et âme dans cette course-poursuite contre cette proie invisible, dont les effluves inhabituels et atypiques étaient venus chatouiller leurs museaux surpris.

Tout avait commencé alors que Fiona se promenait en compagnie de Kim à plusieurs kilomètres de la cabane, savourant avec délice la liberté qui était la leur depuis de longues années. Ils étaient les véritables maitres de ces lieux, et en conséquence, ils aimaient se pavaner des journées entières dans les bois sauvages argentins. Les premiers relents du doux parfum de l'objet de leur traque apparurent en début d'après-midi, peu après leur sieste digestive. Un savant mélange de transpiration et de renfermé. La trace était fraîche et sans avoir à se concerter, les deux êtres s'élancèrent à toute vitesse à sa poursuite, leurs truffes en ébullition.

Stimulés par ce défi nouveau et surprenant, ils pénétrèrent une section de la forêt bien différente de celle à laquelle ils étaient habitués. La nature s'y faisait plus dense, les odeurs s'y matérialisaient de manière beaucoup plus désordonnée et de nombreuses ronces ralentissaient avec piquant leur progression. Par moment, des remugles masquaient partiellement leur piste, mais jamais suffisamment pour les en détourner. Le plaisir qu'entretenait le couple de canidés dans cette fuite vers l'inconnu réveillait en eux des sensations qu'ils pensaient enterrées et disparues depuis longtemps.

L'animal qu'ils poursuivaient devait être particulièrement rapide pour que, la nuit tombée, ils ne l'aient pas encore rattrapé. Le défi, pour une fois, était à la hauteur de leurs espérances les plus folles. Ils ne dormirent que trois heures, de peur que l'odeur ne s'évapore définitivement dans l'air et que, par conséquent, la piste se refroidisse. Ils ne se le pardonneraient pas, ne souhaitant pas attendre deux autres décennies avant qu'une telle occasion ne se présente à nouveau.

À mesure qu'ils gagnaient du terrain sur leur proie, les contours de sa fragrance se précisaient, et rappelaient à Fiona des bribes de souvenirs sur lesquelles elle n'arrivait toutefois pas à mettre une image claire. Que cela était frustrant ! De toute manière, la rencontre avec cette créature dont l'identité lui échappait ne tarderait plus. Elle sentait avec acuité le moment révélateur approcher.

Une nouvelle journée de traque touchait à sa fin. Les décors dans lesquels les deux loups évoluaient avaient changé dans le courant de l'après-midi. Ils avaient émergé dans un océan de sapins, leur donnant ainsi une plus grande liberté de mouvement, les racines des monstres épineux ne laissant que peu de places à d'autres plantes de pousser dans de bonnes conditions. Aussi, les formidables pattes griffues de Fiona et Kim se contentaient de briser les brindilles séchées s'étalant au sol, directement tombées des vieilles branches de leurs hôtes.

Ils continuèrent à un rythme effréné toute la nuit, sans prendre la peine de se reposer.

L'excitation et le doux fantasme de la chair fraiche entre leurs crocs permettaient au couple de faire fi de la profonde fatigue s'accumulant heure après heure dans leur organisme. Ils ne s'interrogeaient même plus sur l'espèce animale à laquelle appartenait leur proie. Ils se contentaient de foncer tête baissée, la bave suintant de leurs babines retroussées, leurs instincts sauvages ayant pris entièrement possession de leurs esprits, pourtant si futés et affutés.

L'Héritage des Ombres : La Fille de la NuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant