Chapitre 7 : Recherches en Patagonie (3/4)

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La journée de recherche du lendemain se conclut sans aucun résultat probant. Le corbeau, pourtant, survola de longues heures durant les immenses océans verdoyants, composés tour à tour d'arbres puis de conifères, longeant de loin les griffes acérées de la Cordillère des Andes.

La poursuite de traces d'activités divines ne donna rien également. Cependant, les jumeaux ne perdaient pas espoir. La Patagonie demanderait certainement des jours, voire des semaines de fouille.

Le caporal, quant à lui, ressentit du soulagement lorsqu'il posa pour la troisième fois le Corbeau dans les terres sauvages argentines.

Il fut décidé que le repas du soir se ferait dehors. Selon Lazare, « un peu d'air frais ne ferait de mal à personne ». Elena, ravie d'enfin pouvoir sortir de l'ambiance oppressante de l'engin de métal, disparut rapidement entre les branches et les troncs — barrière végétale formidable — encerclant avec sérieux le Corbeau et ses passagers.

Elena courut.

Slalomant entre les divers obstacles naturels en tout genre, elle surprenait et effrayait parfois des animaux peu habitués à voir surgir de nulle part un être vivant étrange se déplaçant sur deux jambes seulement. Elle accéléra le rythme progressivement, profitant dans son entièreté du sentiment de liberté qui l'envahissait.

Elle se remémora ses balades dans les Pyrénées avec sa mère et son frère qui pestait, ne comprenant pas l'intérêt de telles pratiques et se languissant de ses livres comme de sa chambre d'études. Elena, elle, aimait plus que tout ces courts voyages en montagne. Il lui arrivait souvent de se perdre après s'être lancée tête baissée au milieu des étendues d'arbres presque infinies. Une fois, elle avait même réussi à surprendre une femelle ours et ses petits se prélassant joyeusement dans un cours d'eau cristallin dans lequel il était possible d'apercevoir des truites arc-en-ciel effrayées par les intrus aux longs poils.

Elle ne croisa aucun ours durant sa courte course au milieu de la végétation patagonienne, mais elle ressentit avec intensité ce sentiment qui lui avait échappé depuis le début de leur mission. Seule, perdue dans les nuances de verts et de jaunes, elle se retrouvait et se sentait bien.

Lorsqu'elle revint dans la clairière protégeant le Corbeau, la lune s'affichait fièrement dans le ciel, alors que les quelques derniers rayons de soleil faiblissaient dangereusement. Le corbeau métallique avait déjà ravalé son frère et le reste des troupes. Elena ressentit un pincement au cœur au moment de franchir la porte d'entrée coulissante.

Les bonnes sensations de sa virée sauvage s'accrochaient à elle, et cette nuit-là, lorsque la lieutenante se coucha, elle rejoignit Morphée sans perdre ne serait-ce qu'une seconde.

***

Les journées, interminables et ennuyeuses, passaient et se ressemblaient. Alors qu'ils s'aventuraient toujours plus au sud de la Patagonie, suivant l'infinie chaîne de montagnes, les températures chutaient et le soleil se montrait plus hésitant. La pluie, souveraine incontestée en ce milieu d'automne, s'abattait inlassablement et monotonement sur l'assemblage de pièces métalliques les abritant. Les soldats, tout comme le caporal et les deux lieutenants, commençaient à perdre espoir, tandis que la première semaine et demie de recherche touchait à sa fin.

Leur quotidien lent et sans surprise pesait sur le moral des troupes. Les premiers jours, l'excitation liée à la découverte de nouveaux espaces arrivait à combattre l'ennui. Malheureusement, cela faisait déjà un petit moment que ce dernier avait remporté l'affrontement par K.O.

La vie dans le Corbeau devenait de plus en plus étrange, avec une ambiance aux humeurs changeantes. Les averses incessantes les empêchaient de sortir se dégourdir les jambes et l'esprit, leur donnant toujours plus l'impression d'être pris au piège à l'intérieur de l'oiseau de métal.

Elena tournait en rond. Elle ne se mélangeait pas trop avec les autres prisonniers, purgeant avec difficulté sa peine, la rancune et l'impatience l'accompagnant sans jamais la lâcher. Elle ne discutait que très rarement avec son frère. Lazare squattait littéralement la cabine de pilotage, guettant la moindre piste pouvant les mener à leur objectif. Il finit par développer une sympathie inattendue pour le caporal.

Benedikt et Lazare dissertaient des heures durant de guerre et de stratégie, le premier à l'aide de ses souvenirs, et le second à partir de la théorie et de son savoir. Le lieutenant se surprit à éprouver un certain respect pour cet ancien soldat qui jamais ne trahit sa cause. Lazare prenait un plaisir fou à l'écouter parler avec mélancolie de ses exploits de jeunesse. Il rêvait de pouvoir un jour raconter, lui aussi, des histoires valeureuses dont le héros serait sa propre personne. Lazare avait soif de reconnaissance et de gloire.

Ces histoires agaçaient Elena. Bien leur en faisait de bavarder. Pendant ce temps-là, personne n'agissait. Elle ne pouvait accepter l'échec. Cette mission revêtait une importance capitale. De plus, l'absence d'action lui laissait beaucoup trop de temps pour penser. Elle sentait cette ombre de tristesse la suivre sans relâche, mimant ses moindres faits et gestes, la pistant d'une pièce à l'autre, comme un chien bien trop fidèle envers son maître. Ces derniers mois avaient été compliqués pour elle sur le plan émotionnel. Perdre un être cher, n'était jamais chose facile, mais perdre son unique parent l'était encore moins. Sa mère lui manquait terriblement, chaque souvenir d'elle lui apportant son lot de souffrances. Cependant, le deuil, tout en suivant son lent processus douloureux, semblait avoir emprunté la bonne direction. Se concentrer sur la mission aidait Elena à penser à autre chose. Ce nouvel objectif s'était révélé des plus salvateurs, du moins, au départ. Mais la monotonie ambiante commençait à enrayer cela.

Les seuls moments agréables qui ressortaient de cette routine d'une platitude embarrassante étaient les échanges non escomptés avec un ou plusieurs des quatre soldats présents avec elle lors de la confrontation de Buenos Aires. Tous les cinq se liaient d'un certain sentiment de proximité. Du moins, Elena le ressentait ainsi, et elle en retirait une satisfaction qui la désarçonnait. Depuis son plus jeune âge, les uniques personnes avec lesquelles elle interagissait étaient son frère, à jamais ensemble, leur exceptionnelle nounou, quelques professeurs scolaires et d'arts martiaux, et enfin, plus rarement, leur mère, maintenant décédée. La jeune lieutenante n'avait jamais eu ce que les gens appelaient communément des « amis ».

Elena appréciait en particulier discuter avec Simona, car tout comme elle, la soldate ne semblait pas être dotée d'un talent naturel pour la socialisation. Elle la croisait souvent seule, assise dans un coin reculé du corbeau, vacant à des occupations telles que la lecture, la sieste ou la réflexion. Leurs entrevues, généralement brèves, procuraient à Elena des sensations qu'elle ne pouvait s'expliquer. Bien entendu, suivant certaines pistes mentales évidentes, elle se doutait de la réponse s'en même le savoir.

La nuit tombée, Elena avait l'impression que son inconscient jouait à la roulette russe avec son sommeil. Certains soirs elle s'endormait comme une masse, tandis que d'autres, la seule action de fermer les yeux lui semblait irréalisable.

Parfois, elle se demandait comment se déroulait la transition politique chez eux. Est-ce que la République Ecologique d'Europe avait enfin terminé son deuil ? Est-ce que les luttes de pouvoir intestines faisaient rage et l'affaiblissaient ? Qu'en dirait sa mère ? Elle ne pouvait qu'inventer les réponses à toutes ses questions, son imagination s'étirant de jour en jour, dessinant les contours de scénarii toujours plus catastrophiques.

Ses pensées alarmistes accentuaient son sentiment d'impatience et sa volonté de débusquer Falco Chevalier. Il était nécessaire de le retrouver dans l'intérêt général de la République. Plus elle la liste des pessimistes éventualités s'allongeait dans son esprit, plus la mission devenait vitale à ses yeux. La politique la dépassait, mais Elena en cernait avec suffisamment de réalisme les enjeux de luttes de pouvoir pour accepter pleinement le bon sens de ses inquiétudes.

Pour évacuer sa frustration, elle s'entraînait durant l'essentiel de son temps libre, c'est-à-dire la quasi-totalité de ses journées. Les soldats aux alentours entendaient siffler ses deux lames acérées dans le vide. 

L'Héritage des Ombres : La Fille de la NuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant