Chapitre 3

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Aujourd'hui

LÉO

Lorsque j'aperçois Will au loin, une boule se forme dans mon estomac. Je déteste ce genre de rendez-vous avec lui parce que je sais très bien que deux ans après l'arrêt de ma carrière, il est prêt à tout pour me récupérer. Cela fait quatre mois qu'il insiste pour qu'on essaye de se revoir en tête à tête.

En deux ans, j'aurai pu perdre beaucoup de niveau mais ça n'a pas été le cas. J'ai continué à m'entraîner, de façon moins intensive certes, mais j'avais besoin d'évacuer et ça n'a fait qu'améliorer mes performances. Les nombreuses fois où il m'a téléphoné lorsque j'étais chez mes parents, je lui disais que je ne nageais plus, que j'avais tout perdu. Seulement, dès que je suis revenu à Paris, j'ai repris mes habitudes. J'ai recommencé à me chronométrer et c'est là que je me suis rendu compte que notre corps réagit de façon parfois étrange face à la perte.

Malheureusement pour moi et par la force des choses, un beau jour, Will m'a vu nager et depuis ce jour, il n'arrête pas d'insister.

Plusieurs fois, il m'est arrivé d'éprouver un certain manque. Ce club dans lequel j'ai évolué, c'était une famille pour moi, on se connaissait tous par cœur, on se racontait toutes nos peines, toutes nos joies. Les quitter du jour au lendemain a été très douloureux mais jamais autant que la perte de Léna. Et ils l'ont compris. C'est bien ça toute la force d'une équipe : on n'est jamais seul. Si vous glissez, il y aura toujours quelqu'un pour vous rattraper. Si vous vous noyez, il y aura toujours quelqu'un pour vous sauver.

Je m'approche de la table où Will est installé. Je suis toujours trempé grâce à la merveilleuse météo de Paris. Il a déjà commandé deux bières et se gratte là où sa barbe a été fraîchement rasée. Il porte un pantalon noir avec un pull gris en cachemire. Il doit crever de chaud. Un bonnet de l'Équipe de France est posé au centre de la table et je ne peux me retenir de soupirer.

Cela faisait deux ans que j'étais membre de la F.F.N avant de tout envoyer valser. Voir ce bonnet sur cette table me provoque un pincement au cœur que je ne souhaitais plus ressentir.

– Salut champion.

– Salut.

– Tu vas bien ?

– Très bien et toi ?

– Oui. On doit parler, toi et moi.

– J'avais cru comprendre..., dis-je sur un ton moqueur.

Je prends une gorgée de bière bien fraîche. Je fixe le fond de mon verre et je remercie intérieurement l'Univers d'avoir créé une boisson aussi délicieuse. Ethan trouve ça immonde. J'ai toujours su qu'il avait des papilles gustatives défectueuses en matière de boisson.

– Tu sais que je ne reviendrai pas Will, soufflé-je.

– Mais pourquoi Léo ?

– Tu sais très bien pourquoi..., dis-je la gorge serrée.

Il soupire et penche la tête en arrière, d'un air exaspéré.

– Elle ne reviendra pas. Tu le sais, n'est-ce pas ?

– Bien sûr que je le sais. Je suis pas idiot, dis-je blessé.

– Alors, arrête de te comporter comme tel. Ça fait deux ans, Léo. Deux ans. Elle n'aurait pas voulu que tu abandonnes ton rêve.

– Le mien ou le tien ?

Il me fixe la bouche ouverte. Je l'ai clairement piqué. J'ai toujours ressenti une certaine projection de lui sur moi. Il espérait pour moi ce que lui n'était pas parvenu à obtenir. Son visage figé, à cet instant, me confirme cette impression.

– Désolé, lâché-je.

– C'est moi qui suis désolé pour toi.

– Pourquoi ?

– Je n'insisterai plus, Léo. Je suis fatigué. Si depuis deux ans je me bats pour que tu reviennes, c'est parce que je sais que la natation c'est tout pour toi. J'ai espéré pendant deux ans que tu parviennes à faire ton deuil, que tu réussisses à cesser de culpabiliser dès que tu faisais quelque chose pour toi et ton propre bonheur. J'étais heureux quand ton père m'a appris que tu avais trouvé un petit job, j'étais heureux quand je t'ai vu nager un sprint à nouveau avec le sourire, j'étais heureux quand tu as accepté ce rendez-vous. Tout ce que je veux, c'est ton bonheur.

Je sens mes yeux se remplir de larmes. Mon cœur se serre.

– Je sais que c'est dur Léo, et je ne te le reproche pas. Je t'ai envoyé plusieurs numéros de personnes compétentes qui pourraient t'aider, je t'ai tendu la main et tu sais que tu peux m'appeler quand tu le veux. Je te demande simplement de ne plus vivre avec le fantôme du passé qui plane sur chacun de tes pas.

Je suis incapable de répondre quoi que ce soit. J'espère que mes yeux parlent pour moi et qu'il ressent la gratitude que j'éprouve maintenant et que j'ai toujours éprouvée pour lui.

Il me prend la main en hochant la tête avec un petit sourire. J'ai la gorge nouée mais je parviens tout de même à lui dire :

– Merci.

***

Nous finissons notre bière en parlant de la pluie et du beau temps. Nous reprenons même une seconde tournée. Cela faisait très longtemps que je n'avais plus passé un moment comme celui-là.

Je pense que ma discussion avec Will m'a soulagé. J'ai toujours vu Will comme un second père pour moi. Depuis gamin, il était là. Il l'est toujours aujourd'hui. J'ai été distant avec lui depuis ces deux dernières années car tout ce qui touchait à la natation me rappelait mon erreur. Aujourd'hui, je regrette un peu de l'avoir laissé sur le bas-côté alors qu'il n'a jamais cessé de penser à moi.

Il est déjà 19h30. Nous avons fait un concours de fléchettes et nous sommes tous les deux très mauvais perdants. On a refait je-ne-sais combien de parties. Finalement, c'est moi qui ait remporté la dernière manche.

– Il va falloir que j'y aille, Ethan m'attend, dis-je.

– Pas de souci, mon grand. On se revoit bientôt ? Pour que je puisse avoir ma revanche.

– Avec plaisir.

Et cette fois, c'est sincère. Je lui dis au revoir et m'avance vers la sortie quand il me retient par le bras.

– Prends quand même ça avec...Au moins comme un souvenir.

Il me glisse le bonnet dans la main. Un sourire se forme sur mon visage.

Dehors, le soleil a repris sa place parmi le ciel. La pluie a cessé. Je sors mon téléphone de ma poche et remarque qu'Ethan m'a laissé des messages.

Ethan : Elle est trop belle mec, je te jure.

Ethan : Je pense me lancer dans le droit.

Ethan : Je crois qu'elle est amoureuse de moi. Elle rigole à toutes mes vannes.

Ethan : Je suis rentré. Je te prends une quatre fromages?

Ethan : J'ai pris une quatre fromages. T'as intérêt à la manger.

Je décide de faire le trajet du retour à pied. Je mets mes écouteurs et marche en admirant chacune des façades, chacun des vélos, les nuages un par un dans ce si beau ciel bleu. J'espère qu'elle me regarde et qu'elle est fière de moi. Il faut que j'avance sans penser que c'est égoïste de ma part. Mais je n'y arrive pas encore. La culpabilité demeure présente. Elle m'encercle et je me demande si je parviendrai un jour à m'en défaire.

– Ça été ? me demande Ethan, à peine ai-je franchi la porte.

– Faut que je trouve un boulot qui me plaît. Pour avancer, dis-je de but en blanc.

– Et qu'est-ce qui te plaît ?

– Je crois que j'aime bien cuisiner.

Je coulerai avec toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant