Chapitre 1 : Prisonnière du monde - Oxane

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Assise à la terrasse d'un café, je profite du peu de temps de répit qu'il me reste avant de devoir repartir dans ce que j'appelle la vraie vie ou plutôt le côté ennuyeux et compliqué de celle-ci. Je finis mon café noir en silence en appréciant les derniers rayons de soleil qui me réchauffent le visage.

Je rentre dans l'amphi, il est seulement 13h, le temps est de plus en plus long ici. Je n'ai jamais apprécié le fais d'être coincé dans cette salle immense entourée de gens qui ne comprennent pas plus que moi ces cours de chimie et qui, pour certains, n'en n'ont clairement rien à faire. Je dirais que je ne suis pas comme les autres, d'ailleurs, on me fait toujours remarquer et ce dès mon plus jeune âge. Je connais très bien la sensation de ne pas être à sa place et le plus souvent dans cette situation, je préfère ignorer la réalité et partir dans mon monde « imaginaire » comme l'appelle ma mère.

A cause de ces absences dues à l'ennui au sein de ce monde extrêmement chiant selon moi, j'ai souvent eu des problèmes avec mes différents professeurs, toujours le même motif et toujours les mêmes reproches : « Oxane, disait-on à mes parents, est très intelligente nous en sommes persuadés, malheureusement, il s'avère qu'elle s'obstine à ne pas être attentive et ce malgré l'avoir reprise de nombreuses fois. »

J'étais ensuite confrontée au fameux interrogatoire qui découlait de ces réunions entre mes parents et mes professeurs. Toujours la même chose encore une fois, d'ailleurs je ne comprends pas comment les gens peuvent être si futiles : sont-ils si bêtes qu'ils oublient que c'est la 5e fois du mois que vous engueulerez votre enfant sur le même sujet ? J'avais donc droit au supplice de les entendre me raconter pourquoi il ne fallait pas que je fasse ceci ou cela, rêvasser comme ils disent, car j'étais selon eux en train de foutre mon avenir en l'air. Mais pour moi, mon avenir comme ils le disaient si bien, était plus le leur que le mien.

J'avais beau leur expliquer que je n'y pouvais rien et que mon esprit se déconnectait tout seul sans que je ne puisse rien y faire; selon eux, il n'y a rien qui n'était pas possible à résoudre : démarche classique de parents scientifiques, il y a toujours une solution à un problème. Je suis d'ailleurs sûr que pour eux, le problème qui n'est autre que moi, était juste un caillou dans l'engrenage de leur vie bien rangée : avoir une vie de couple épanouie, se marier en aillant des métiers respectables et fonder une famille mais attention il ne fallait avoir qu 'un seul enfant pour ne pas être surmenés pas la tâche de travail que cela impliquait, bien sûr il aurait fallu que cet enfant soit aussi intelligent qu'eux ,sinon plus, et qu'il ne fasse aucun dérapage, aucune bêtise, ne ne cause aucun tumulte.
En sommé ils voulaient engendrer un robot.

Malheureusement pour eux, je n'en étais pas un et ne leur ressemblait en aucun cas. Ils étaient réduits à ne résonner que par des formules ou des calculs qui selon moi ne peuvent résoudre qu'une partie infime des problèmes du monde ou plus simplement de la vie. Quant à moi, j'étais comme j'aimais le dire, un esprit libre, ne résonnant que par la voix en moi et surtout par mon imagination, capacité inconnue de mes parents qui n'en comprenais pas plus le sens que je ne comprends les formules de maths.

J'étais donc résolu à n'être qu'un problème qu'on préfère ignorer et mes parents ne manquaient jamais de me le rappeler.

Je suppose que c'est pour cette raison que je m'étais faite la promesse de partir de la maison à 18 ans : pour échapper à un monde auquel je n'appartenais pas et pour essayer de me faire une place dans cette société si monotone.

Malheureusement, c'était sans compter sur mes parents qui ont juré que je deviendrais une grande chimiste, médecin, neurologue ou une connerie dans le genre. J'avais beau leur expliquer que ma place n'était en aucun cas dans un amphi en cours de maths mais plutôt dans un bureau confortable chez mon éditeur préféré, ils n'en avaient rien à faire. Et c'est donc car mes parents n'ont que faire de mon bonheur que je me retrouve ici dans ce cours de chimie moléculaire plus qu'ennuyeux.

***

J'habite toujours chez mes parents à 19 ans : bien obligé, ils ne me donneront jamais d'argent pour partir puisqu'apparemment ils veulent avoir le contrôle sur ma petite vie qui vient juste de commencer et j'ai tellement de cours à la fac de médecine que je ne peux pas prendre de boulot à côté.

Ce soir, comme tous les soirs, je rentre chez moi et mes parents ne sont pas là, comme toujours. Ils ne sont jamais là, ils ne rentrent que le dimanche soir pour repartir travailler dès le lendemain matin. Je sais que la plupart des gens de mon âge adoreraient cette situation, ils sortiraient jusqu'à pas d'heure sans se préoccuper des conséquences ou inviteraient des amis tous les soirs pour faire de grosses fêtes. Mais je ne suis pas tout le monde comme on se plait souvent à me le rappeler. Je n'ai jamais eu beaucoup d'amis, un ou deux avec la chance mais seulement jusqu'au lycée. Depuis que je suis ici, personne ne m'adresse la parole, trop occupé à parler avec les autres de biologie cellulaire et d'expérience chimique auxquelles je suis apparemment la seule qui n' y comprend rien alors que tout le monde me fixe dès que je sors un livre. Pas facile de s'intégrer en aillant rien avoir avec les autres.

Dans ma vie je ne considère n'avoir eu qu'une seule vraie amie, Thalia, malheureusement ou heureusement, je n'en sais rien, plus notre amitié évoluait plus elle devenait toxique. Elle avait fini par me rappeler ma prison parentale, en somme c'était Thalia qui avait fini par me contrôler tout comme mes parents il n'y a pas si longtemps.

J'avais fini par rompre cette amitié de longue date : Thalia ne l'avait pas compris. Je lui avais longuement expliqué les raisons qui m'avaient poussé à prendre cette décision : le fait qu'elle juge avoir un droit de parole sur tout ce que je faisais, que je ne devais pas écouter qu'elle et que je n'avais pas le droit, de me faire d'autres amis où j'aurais été considérée comme une traitresse.

Elle ne l'avait vraiment pas bien pris : selon elle, tout ce que j'avais, je le lui devais, je n'étais rien sans elle.

Mais j'avais pris ma décision et je ne serais pas revenu en arrière.

Aussitôt, elle avait fait courir une tonne impressionnante de rumeurs, toutes plus dégueulasses que les autres, en un temps record.

Apparemment, j'étais vaniteuse, je me faisais un nouveau mec tous les jours et les larguais tous du jour au lendemain sans leur expliquer et je serais également parvenue à faire divorcer ses parents, qui au passage c'était séparée il y avait plusieurs années , en disant à sa mère que son mari l'avait trompée avec nul autre que moi !

Bien-sûr, puisque Thalia était très populaire, tout le monde l'avait crue. Tous les jours je recevais des remarques horribles : connasse et salope était les mots que j'entendais le plus.

Je n'avais que 15 ans et tout cela m'avait détruite.

Depuis, je ne me suis plus fait d'amis et j'ai subi les remarques qui subsistaient en silence.

Je me suis réfugiée dans mon monde imaginaire alimenté par mes grandes lectures.

Je ne parlais plus, ne sortais plus de ma chambre : je lisais des montagnes et des montagnes de romans. Au fur et à mesure je me suis donc inventée un monde imaginaire, mon monde parfait ou presque car je pense qu'il faut toujours une petite dose de normalité, tout ne peut pas être exactement comme on le voudrait et dans mon « délire » je gardais les pieds sur terre.

Quand le monde réel se dressait devant moi, la plupart du temps je préférais l'éviter et je partais dans l'imaginaire.

C'est comme ça que m'est venu, au moment de choisir un projet d'étude pour mon avenir que je devais construire à 16 ans, le but de devenir écrivaine mais également de monter ma propre agence d'édition. Mais bien-sur un mur à abattre avant tout cela : la muraille parentale. Malgré tous mes arguments, que je jugeais tout à fait respectables, le futur de romancière était totalement exclu pour mes parents. Ils ont rempli les papiers, indiquant que je voulais prendre la filière scientifique sans même me concerter avant.

J'étais destinée à être déçue et soumise apparemment.

FataleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant