Chapitre 24 - Le chant qui fut porté à l'oreille du siffleur rouge

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Anela


Je n'avais reçu aucune ordination. J'assistais aux messes rouges exceptionnellement, bien plus à cause de ce que je représentais que parce que je le méritais vraiment. Je ne pouvais donc donner aucune messe, mais on m'accordait de prier devant une assemblée, pour un mort ou de chanter pour honorer les morts. On disait que lors des messes rouges, les célébrations donnaient pour un défunt, chantait accompagnée l'âme jusqu'à Rodel.

J'espérais que ça avait été le cas pour Beret. J'aurais voulu être capable de dire une messe, même si cela incitait d'être un prêtre, car j'aurais profondément aimé honoré Beret de cette façon. J'aurais aimé que son cercueil soit porté avec respect, soit présenté à une immense statue de Rodel et que l'on chante longuement pour lui, avec les prêtres, les chorales et les croyants. Malheureusement, ça en avait été autrement.

Od nous avait accordé d'enterrer Beret dans le champ de consanguine devant la demeure. Nous avions déraciné certaines d'entre elles afin d'y creuser un trou à la force de nos mains. Nous y avions posé le corps de notre confrère, nous l'avions recouvert de fleur afin que même les vers ne puissent se repaître de sa chair et nous l'avions enseveli sous la terre spongieuse. Son image s'effaça sous la terre jusqu'à disparaître.

Ici, perdu au milieu de toutes les consanguines, son repos ne serait jamais troublé. J'en étais soulagé. Fratera, Pero, Selene, Rune et moi-même nous agenouillâmes autour de sa tombe. Je savais être observé par les monarques. Ils attendaient tous sur le seuil de l'immense porte, le regard braqué sur nos faits et gestes. Pourtant, même eux ne pouvaient me troubler. Ce moment n'appartenait qu'à Beret. Lorsque j'ouvris la bouche, ce ne fut pas pour parler avec véhémence, mais pour chanter pour lui.

Je fermai les yeux et me laissai porter par mon chant. Je sentais, parfois, quelques pétales effleurer mon visage. C'était si léger et doux, comme une caresse et je me plaisais à imaginer Beret, conscient tout de même que ses doigts épais ne pouvaient être capable d'une telle douceur. Cela me fit sourire. Oui, Beret avait été bourru et buté, licencieux et comique, et nous l'avions aimé sincèrement. Je désirais ardemment le retrouver dans une autre vie.

J'espérais que Rodel entende mon vœu.

Les siffleurs rouges chantèrent eux aussi. Leurs sifflements s'élevèrent pour m'accompagner. Cynique, comme toujours, mais inexplicablement beau. C'en était si troublant ! J'aurais pu chanter ainsi, sous les pétales et la douceur de la brise que je sentais enfin, durant des heures, mais quelque chose me perturba. L'un des gazouillements était plus fort et j'ouvris les yeux. Je les écarquillai aussitôt sous le choc. Là, juste sur le monticule de terre où reposait Beret, il y avait un petit oiseau.

Les autres ouvrirent les yeux sous mon soudain silence et Pero sursauta en avisant de la petite bête. Je levai doucement la main vers elle pour la calmer. Nous étions tous éberlués et à raison ! Les siffleurs rouges ne se montraient jamais. Nous n'avions même pas de dessin d'eux ! Nous n'avions toujours entendu que leurs chants cyniques et comme toute chose vivante à Sang, nous avions associé sa colère à l'écarlate. Pourtant, pour la première fois, un siffleur rouge s'était révélé à nous.

— Un... siffleur rouge, souffla Rune.

Oui ! Ils étaient bien rouges ! Il était recouvert de longues plumes écarlates à couper le souffle. Ces dernières étaient d'autant plus longues au niveau de sa queue, et bien plus épaisses aussi ! Il avait aussi, sur la tête, une petite crête qui se levait en une élégante petite boucle. Il devait bien faire... le double de ma main et il était plus beau que tout ce que j'avais pu imaginer. Son petit bec d'un blanc éclatant bougeait frénétiquement sous le sifflement qui reproduisait mon chant.

LA LOI DU SANG - LES SANGUINAIRES (BL/TERMINÉE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant