MATT

Cela fait plus d'une heure que Mamina me traîne à droite et à gauche afin de cocher toutes les cases de sa liste de courses dans les différents supermarchés du centre ville. Je suis à bout de ce que je peux
supporter en temps normal, mais je prends sur moi et ne dis rien. Mamina est maline et ce qui me retient de ne pas la laisser en plan, ce sont les anecdotes d'enfance qu'elle distille sur maman.

- Ici, fait-elle en montrant un glacier du doigt, elle a fait tomber sa glace et a pleuré toutes les larmes de son corps. Ton grand-père lui a cédé la sienne et je ne sais plus lequel des deux était le plus heureux. Elle pour avoir eu sa glace ou lui parce qu'elle avait cessé de crier.

Je souris en imaginant la scène avant de jeter un énième coup d'œil à mon portable suite au message de Kiera. Je souris bêtement devant mon écran et le remet dans la poche de ma veste. Voyant que j'ai ralenti l'allure, Ma grand-mère s'arrête de marcher et attends que je sois à sa hauteur pour débuter son interrogatoire :

- C'est Kiera ?

- Oui.

Elle me regarde avec empathie, ce qui me rend instantanément mal à l'aise. Je passe une main nerveuse dans mes cheveux, tentant au passage de les discipliner tandis qu'elle reprend d'une voix pleine de sagesse :

-Il va falloir que tu te décides à le lui dire avant que ça aille trop loin.

- Je sais, je me renfrogne.

- Tu sais ce que tu fais ? me demande-t-elle inquiète.

- J'espère.

Je marche à ses côtés et rumine intérieurement. Kiera a assez souffert par ma faute, est-ce si difficile de croire que je puisse être la source de son bonheur ?

- On a encore un dernier arrêt. Ton Papi veut manger mon chili et je n'ai plus de haricots. Après, je te promets qu'on rentre à la maison.

Je soupire exagérément de soulagement et la taquine :

- J'ai cru que tu ne le dirais jamais. Mets fin à mon calvaire et vite !

Elle me donne une légère tape sur le bras à laquelle je lui réponds par une bise sur la joue. Mamina fait la conversation d'un air enjoué et évite soigneusement de revenir sur le sujet qu'on vient d'avoir, ce qui me permet de me détendre. Mais plus on approche du supermarché et plus son débit de paroles s'estompe.

Son regard est rivé sur un homme élégamment vêtu d'un pantalon de costume beige et d'une chemise blanche, la tête penchée sur son téléphone. La
montre étincelante qui orne son poignet et la grosse
chevalière à son doigt parfaire sa tenue haut de gamme. Cet homme tout droit sorti d'un magazine de mode attise ma curiosité. Ce genre de personnes ne se fait-elle pas livrer ses courses à domicile ?

La main de Mamina se crispe sur mon bras, ses lèvres se pincent et ses yeux ne cessent de dévisager cet homme.

- Mami...

- Finalement, j'ai changé d'avis. Rentrons !

- Et tes haricots ? Pourquoi est-ce que...

Je m'interromps et comprends enfin la raison de son malaise. Qui est cet homme !? Serait-ce Lui ?
Elle me tire par le bras pour faire demi-tour, mais je campe sur mes positions et lui oppose une légère résistance sans le quitter des yeux.

L'homme au costume lève la tête et son regard croise celui de grand-mère, avant de glisser lentement sur moi. Une lueur de surprise transforme son visage en une fraction de secondes, tandis qu'il reporte son attention sur Mamina qui lui fait un imperceptible "non" de la tête.

- C'est qui !? je grogne à ses côtés.

- Personne. On rentre !

Je reste statique et continue de le fixer, le provoquant silencieusement de venir à notre rencontre. Il sait qui nous sommes j'en suis certain, et pourtant, il ne bouge pas. Après quelques minutes d'observation, il nous fait un signe de tête, puis tourne le dos avant de monter dans une luxueuse voiture.

- C'était quoi, ça !? je fulmine, me retenant d'aller lui demander des comptes.

- Laisse tomber, on y va.

- C'est Lui, c'est ça !?

- Non, Matt !

Je grogne plus que je ne parle, mais il est hors de question que je ne connaisse pas le fin mot de l'histoire. Sans que j'y prenne garde, Mamina me coupe l'herbe sous le pied en élevant la voix :

- On rentre, fin de la discussion ! Il y a des tas d'hommes de son genre ici, alors cesse de te faire des idées sur le premier venu.

- Mais je vous ai vu...

- Et je t'interdis de faire quoi que ce soit d'irréfléchi qui puisse nous porter préjudice, me coupe-t-elle. Est-ce que c'est clair, Matt !?

Je suis complètement soufflé par son ton dur et autoritaire et acquiesce en silence.

- Bien. Maintenant, allons-y. Tu sors ce soir et je ne pense pas qu'elle appréciera ce jean troué.

Se rendant compte que je ne dis plus un mot, elle ajoute avec plus de douceur :

- Tu finiras par le retrouver, mais arrête d'être aveuglé par ta colère. Elle te met des œillères et tu ne remarques même plus ce qui t'entoure.

- Ce qui m'entoure ?

- Sois attentif. Observe et écoute. C'est tout ce que j'ai à te dire.

Je ne comprends pas un traître mot de son conseil, mais acquiesce à nouveau avant de nous mener vers ma voiture. Une fois rentré, je suis encore déboussolé
par cette rencontre, mais persuadé que cet homme
est lié à moi d'une quelconque manière. Je vide le coffre et m'attèle à ranger les courses, tandis que Mamina discute dans le jardin avec Papi.

De là où je suis, j'aperçois à travers la grande baie vitrée grand-père devenir blême, avant de s'asseoir à son tour à ses côtés sur le banc. Elle se tourne vers lui et parle à l'aide de ses mains, jetant par intermittence des coups d'œil vers moi. Je n'ai pas besoin de lire sur les lèvres pour deviner le sujet de leur conversation et abandonne nos achats sur le plan de travail pour quitter la cuisine en trombe. Est-ce qu'il le connaît lui aussi ?

Mamina n'a même pas dit un mot, ni esquissé le moindre sourire du trajet retour, malgré mes nombreuses tentatives pour la dérider. Et maintenant, c'est au tour de Papi d'agir bizarrement. Et il a fallu que cette rencontre tombe aujourd'hui, alors que ma journée avait si bien commencé !

N'étant pas d'humeur à rester dans les parages, j'attrape mes clés de voiture et après avoir laissé un mot dans l'entrée, décide d'aller faire un tour. Je conduis jusqu'au lieu que ma mère adorait durant sa jeunesse et emprunte le sentier menant à son havre de paix. C'est la seule échappatoire que je trouve pour éviter cette ambiance tendue dans la maison. Je m'allonge à même l'herbe et observe les nuages au-dessus de ma tête, essayant de faire le vide dans mon esprit. J'inspire et expire longuement, avant de m'asseoir pour observer le paysage qui m'entoure. C'est à ce moment que les paroles de Mamina me reviennent en mémoire.

Observe.

Je reste ici de longues heures avant de me décider à rentrer pour ne pas inquiéter mes grands-parents. Une fois à la maison, je m'enferme dans ma chambre et me replonge dans mes notes, cherchant un indice que j'aurai pu oublié. L'après-midi touche à sa fin et je n'ai pas de nouvelles pistes. Qu'est-ce que je n'ai pas vu ? Qu'est-ce que j'ai pu raté ?

Mais la simple pensée de me retrouver en tête à tête avec Kiera suffit à me faire oublier cette mésaventure. Du moins, c'est ce que je croyais.

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