Chapitre 12

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La pensée était une chose dangereuse pour quiconque ne savait pas la maîtriser. Stiles en était un bon exemple : au lieu de prendre le temps d'accepter la situation, il ruminait. Scrollait sur son téléphone, relisait en boucle cette conversation entre « lui » et son père. Les messages rédigés par Jackson et Lydia imitaient bien son style mais surtout, Noah ne semblait pas s'être rendu compte que l'on avait utilisé le téléphone de son fils à son insu. Il ne semblait pas se douter de l'imposture dont il était victime. Mais qu'importe. Stiles n'arrivait pas à décider de ce dont il devait le plus être choqué. S'agissait-il de ladite imposture ou des réponses de son paternel ? Au fond, il savait ce qu'il était censé penser. Il savait qu'il ne devait pas accepter cela. Son père n'était plus seulement toxique à son égard : il était dangereux. Et même s'il avait mal, même si découvrir cette facette-là du shérif lui trouait le cœur, Stiles était bien conscient que retourner chez lui signifiait son arrêt de mort. Parce qu'il ne survivrait pas à une thérapie de conversion et pas seulement parce qu'il se savait incapable de changer : ce genre traitements brisait l'esprit. Combien de victimes de ce système s'étaient donné la mort à leur sortie des camps ? Combien étaient mortes là-bas, à cause de la violence, le maître-mot de ces institutions ? Stiles aimait son père. Il l'aimait profondément. Mais il voulait vivre. Il mourait d'envie de vivre. Pourquoi les choses étaient-elles si difficiles ? Pourquoi était-il si compliqué d'accepter que l'on puisse aimer quelqu'un du même genre que soi ? En quoi était-ce dérangeant pour autrui ? Stiles n'imposait sa sexualité à personne : elle ne regardait que lui. Alors pourquoi son père le traitait-il ainsi ? Ce qu'il lui demandait, c'était de mourir. Mourir, pour se conformer à ce qui était injustement considéré comme la norme.

Etouffant dans l'ambiance anxiogène de cette chambre et n'en pouvant plus de relier sans arrêt les mêmes messages, les mêmes mots, Stiles se redressa et sortit du lit. Il se sentait encore faible, mais il avait passé tant de temps allongé qu'il se sentait capable de bouger un peu. Ses jambes ne tremblaient pas, il arrivait à se tenir relativement droit, tout en devant néanmoins prendre appui sur le mur pour avancer sereinement. Plus ou moins sereinement. Dans son état, tout était relatif et le concret se mélangeait avec ses impressions, parfois faussées. Et Stiles n'était effectivement pas en si bon état qu'il le pensait. C'était même l'inverse. Déjà, il suait à grosses gouttes, tant l'effort qu'il demandait à son corps affaibli était important. Parce qu'en forme, il ne l'était pas et son repos... Lui permettait seulement de marcher, et pas très longtemps. Il s'en rendit compte bien vite lorsque sa tête se mit à tourner. Pour autant, il avait réellement besoin de faire quelque chose, de sortir d'ici, de... De simplement respirer un autre air que celui de l'angoisse dans laquelle il était plongé.

- Bordel de merde, jura-t-il alors que ses jambes semblaient soutenir son corps de plus en plus difficilement.

La maison de Lydia était trop grande, ses couloirs lui semblaient interminables ! Et pourtant, il se bornait à vouloir continuer. Il forçait son corps épuisé par le poison sans même écouter ses besoins. Celui de dormir encore et encore était prédominant : or, Stiles l'ignorait superbement. Que penser ? Qu'accepter ? L'hyperactif faisait au mieux pour, simplement... Se préserver. Essayer de ne pas s'effondrer mentalement. Pourtant, les preuves avaient été là, sous ses yeux, dans son putain de téléphone. Il les avait vues. Lues. Relues. Avait additionné cela avec le comportement que son père avait eu ces derniers jours à son égard.

Des heures déjà qu'il pensait à cela, luttant contre cette fatigue lancinante qui continuait de le tirailler. Des heures que Jackson était sorti de la chambre, rageur, et que Lydia s'en était également allée afin qu'il puisse se reposer. Tout se goupillait parfaitement... Mais cela ne lui allait pas. Il ne pouvait pas se dire que son paternel... En était rendu à un tel niveau de haine le concernant. S'il n'était pas contre l'idée que sa pensée évolue, il fallait lui laisser du temps. Un peu de temps. Qu'il réfléchisse. Qu'il accepte d'avoir tort. Qu'il accepte d'abandonner le déni pour faire face à la réalité, celle qu'il fuyait depuis le début.

Stiles inspira profondément, parce qu'il venait d'avoir l'impression d'avoir du mal à respirer. Un instant, il s'arrêta et ferma les yeux avant de presser une main sur son cœur. Il n'avait pas mal à proprement parler. Il s'agissait plus d'un inconfort certain mêlé à une faiblesse généralisée. Une faiblesse qui se mit à attaquer ses jambes avec plus d'ardeur. S'il restait trop longtemps ainsi, debout... Il allait bien finir par tomber. Et c'est alors qu'il se rendit compte de son erreur de s'être levé ainsi, sans réfléchir. Juste pour satisfaire une pulsion d'angoisse, ce besoin de sortir de cette cage dorée qu'était la chambre. Son anxiété n'allant pas en s'arrangeant, Stiles entrouvrit les yeux et laissa tomber sa fierté. Il se sentait mal, trop pour se leurrer à continuer d'avancer alors qu'il se sentait décliner au fur et à mesure que les secondes s'égrenaient. A côté de ce besoin de changer d'air trônait la peur. Ce fut elle qui le poussa à articuler fébrilement :

- Jackson... ?

Peut-être était-il parti. Peut-être depuis peu. Peut-être depuis longtemps. Mais à cet instant, l'hyperactif avait l'impression qu'il était la seule personne à pouvoir l'aider. L'empêcher de tomber. Le secouer. Deux concepts fort différents, très opposés. Pourquoi lui ? Parce que la douceur, il ne connaissait pas. L'hyperactif savait avoir besoin de fermeté. Les précédentes paroles du kanima, bien qu'elles lui aient fait mal, avaient agi en lui. Grâce à elles, Stiles avait plus ou moins pris conscience du fait que... Qu'il avait besoin qu'on lui ouvre les yeux. Cet état de fait était un progrès en lui-même, même s'il paraissait insignifiant. Faible, mais bien présent. Et à côté de cela... Il commençait à perdre pied, physiquement. Sa tête lui fit mal et sa faiblesse s'intensifia. Stiles ferma à nouveau les yeux. Il était si fatigué, si déréglé... Qu'il avait l'impression d'entendre son propre cœur battre. Comment avait-il pu se sentir apte à sortir de la chambre ? Pourquoi avait-il eu l'idée stupide d'en sortir ? Pourquoi Jackson ? Pourquoi... Tout se mélangeait. Baboum, baboum. Baboum, baboum. La tête de Stiles était un ramassis d'interrogations et pensées transitoires allant et venant à un rythme effréné. Elles se croisaient, se fondaient parfois les unes dans les autres, laissant le jeune homme dans le flou le plus total. Sa main quitta le mur et Stiles crut qu'il allait tomber.

Des bras. Un torse. Une voix maugréant un splendide « espèce d'idiot ». Jackson n'était pas parti. Il n'avait pas réussi à se dire qu'il pourrait rentrer chez lui, l'esprit tranquille, alors qu'il savait l'hyperactif ici, chez son ex et meilleure amie, mal en point. Dans le déni. S'il y avait bien une chose qui l'énervait autant qu'elle le désespérait, c'était bien ça. Parce qu'il ne pouvait pas assister à la déchéance de l'humain qui, de son côté, s'était toujours assuré de son bien-être dans la meute, et de celui des autres. Parce qu'il ne pouvait pas accepter qu'il ait à subir un traitement aussi ignoble que celui que comptait lui imposer son père, shérif de la ville. Une figure d'autorité aussi bien publique que parentale. Alors, il était là et ce presque murmure, il l'avait entendu. Maintenant l'hyperactif contre lui, il maugréa encore :

- T'es pas bien de t'être levé dans ton état... Moi je vais t'y ramener dans ce lit et tu ne vas pas en ressortir.

Derrière les râles, l'inquiétude. Lorsqu'il se mit à le porter, Stiles s'accrocha à lui sans hésiter, plus par besoin qu'autre chose. Besoin d'un soutien. D'une aide. Besoin du seul qui doutait depuis le début, le seul dont il avait cherché à s'éloigner et dans le même temps, le seul dont il se méfiait toujours. La nécessité d'avoir Jackson auprès de lui était un paradoxe en lui-même mais à l'heure actuelle... Stiles s'en fichait éperdument. Le coup de gueule du kanima avait semé des graines en lui et celles-ci avaient déjà commencé à germer. Stiles garda les yeux fermés et accepta qu'il avait pu s'être trompé sur son compte. Pour son père... Il verrait. Plus tard... Lorsqu'il aurait le courage d'affronter la vérité.

AcceptanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant