Chapitre 24

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Jackson fut en premier lieu simplement surpris, perplexe quant à la présence de ce matériel de tricot dans le carton. Un carton contenant les rares affaires de Stiles à avoir été en assez bon état pour être récupérées. Il n'eut aucun préjugé, ne fit pas la moindre remarque moqueuse. Peut-être parce qu'il était surpris ou... Suffisamment ouvert d'esprit pour se dire que Stiles avait peut-être précieusement conservé quelques affaires de sa mère. Pour qu'elles se retrouvent dans ce carton, il avait sans doute fallu qu'il les cache efficacement au préalable car si Noah les avait trouvées, il y aurait probablement balancé de l'essence de la même façon qu'il avait imbibé la plupart de ses vêtements. Enfin Jackson partait du principe que le shérif aurait tout fait pour enlever à Stiles ce à quoi il tenait – une hypothèse qui s'était vérifiée, s'il se souvenait bien de l'état de sa chambre au domicile familial.

Jackson jugea donc rapidement ce matériel de tricot comme une chance, un moyen pour Stiles de garder certains repères. Ainsi, sans doute ceux-ci lui serviraient-ils à aller de l'avant, à poser les premières pierres de l'édifice de la nouvelle vie qui, par la force des choses, lui tendait les bras. Mais Jackson n'avait pas idée de la souffrance qui inonda la tête de Stiles à cet instant précis. Une vague d'émotions refoulées, un tsunami de répressions trop longtemps maintenues sous clé. Et Jackson, particulièrement perturbé par les évènements récents – ainsi que par cette étonnante découverte dans le carton –, ne sentit pas directement le changement qui s'opéra dans l'odeur de Stiles.

En revanche, il le vit se lever et quitter la pièce d'un pas précipité. Il lui fallut d'ailleurs quelques secondes pour réagir et l'entendre déverrouiller la porte à la hâte. Jackson cligna des yeux, son nez se remit à fonctionner et l'émotion vive qui avait traversé Stiles, il la sentit enfin. Son cœur manqua un battement alors qu'à son tour, il sortit de la chambre en trombe, dévala les escaliers et passa le seuil de l'entrée. Sa vitesse lupine aidant, il n'eut pas grand mal à rattraper Stiles ou du moins, à l'avoir dans son champ de vision. Que faisait cet idiot, à courir comme un dératé ?! Car si Jackson avait perçu l'émotion qui l'avait fait vriller, il ne l'avait pas comprise. Pas analysée. Pas nommée. Il l'avait juste sentie et son loup lui avait tout simplement ordonné d'agir. Sans prendre sa place, comme s'il voulait le pousser à se bouger pour lui faire comprendre quelque chose.

Alors qu'il continuait de courir, Jackson plissa les yeux. Même si Stiles était plusieurs mètres devant lui, son odeur lui parvenait étrangement aisément aux narines. Elle était forte, chaotique. Le genre de fragrance qu'aucun loup-garou ne pouvait ignorer – pas même lui.

Une chose était certaine, Stiles ne comptait pas s'arrêter de courir de sitôt. Les yeux larmoyants au point de ne plus voir son chemin clairement, il fit au mieux pour garder son équilibre et ne pas s'arrêter pour prendre le temps de bien s'essuyer les yeux. Il fallait qu'il s'éloigne de la maison de Jackson, qu'il parte loin. Juste pour mettre de la distance entre lui et ses souvenirs les plus douloureux, ces artefacts de son déchirement intérieur.

Cette passion et ce savoir-faire transmis par sa défunte mère... La même qui, selon lui, avait peut-être déclenché la folie haineuse de son père. Le catalyseur de tout.

Le rappel que tout était de sa faute, de sa nature la plus profonde. Que rien n'aurait éclaté s'il avait réussi à se restreindre, à taire ses pulsions et envies jusqu'à sa majorité. Stiles considérait avoir joué avec le feu en partant du principe que la plupart des parents étaient tolérants, que le sien le serait tout autant. Il avait été capable d'accepter la présence de créatures surnaturelles dans sa vie, mais pas de supporter le fait que son fils puisse avoir une orientation sexuelle différente de la sienne – et qu'il aime tricoter, par-dessus le marché.

Se jouait en Stiles une dualité particulière. Il regrettait d'avoir vécu pour lui, de s'être fait plaisir en embrassant un garçon en public, d'avoir masterisé ses talents de tricoteur... Et en même temps, non. Il ne considérait pas avoir eu un comportement mauvais, encore moins face à son père. Stiles était capable de comprendre certaines de ses réticences, sa gêne par rapport à quelques sujets... Mais le fait est qu'il ne pensait pas mériter les différents traitements que Noah lui avait accordés. D'abord, il y avait eu ce côté « malade » qu'il lui avait plus ou moins fait rentrer dans le crâne pendant un temps – très court, certes. Ensuite, l'empoisonnement.

Puis le pire. Les coups, les mots. La punition qu'il comptait lui infliger, plus innommable encore que le reste.

Stiles ralentit sans s'en rendre compte. Ses joues n'avaient plus rien de sec.

L'hyperactif avait conscience du privilège auquel il avait eu droit : celui d'être relogé pour un temps. Le fait que la famille à l'avoir accueilli porte le nom de Whittemore avait de quoi le perturber et lui faire se dire qu'il avait une chance inouïe.

Enfin, elle s'était sans doute envolée dès lors que Jackson avait vu ces stupides aiguilles. Si son propre père avait pu commencer à le répudier pour quelque chose d'aussi bête, nul doute que les Whittemore, en apprenant qu'il ne respectait pas les clichés de genre, l'expédieraient aussitôt hors de leur demeure.

Alors autant partir tout de suite, non ? C'était en tout cas ainsi que se traduisait la pulsion qui l'avait si soudainement traversé en tombant sur ce matériel auquel il s'interdisait de toucher depuis un moment, dans l'espoir que cette privation volontaire ait l'effet d'une rédemption aux yeux de Noah. Disons que sur le coup, Stiles n'avait pas réfléchi. Et maintenant qu'il courait, qu'il s'épuisait, que son corps commençait à ressentir l'effet de ses pleurs, l'humain pensait véritablement aux conséquences, à l'abandon qui suivrait. A la possibilité d'une haine nouvelle, peut-être démultipliée, plus violente que celle qu'il avait vécue.

Et Stiles n'était pas certain d'être prêt à affronter une chose pareille. Pas maintenant, en tout cas. Pas alors qu'il n'y voyait plus rien à cause de toutes ces larmes pathétiques, que sa respiration s'emballait aussi fort et vite que son cœur, que ses poumons lui donnaient l'impression d'être sur le point d'exploser... Au même titre que sa tête, d'ailleurs. Car Stiles, qui avait commencé par agir, se remettait soudainement à réfléchir. A penser. Trop et trop fort. Une seule certitude s'imposa à lui : celle qu'il allait imploser. La panique s'insinua en lui alors qu'il ralentissait encore et posait la main sur son cœur, serrait le tissu des vêtements qui le recouvraient. Sa vision, déjà particulièrement floue, ne se brouilla que davantage. Un torrent de frissons glacés parcourut le corps du jeune homme qui ressentit soudain le besoin de s'arrêter, de reprendre son souffle sur le trottoir. Qu'importe si des gens passaient, quoique non... Et si son père apprenait qu'on l'avait vu pleurer si faiblement dans la rue ? Stiles n'avait aucun doute quant au fait qu'il sortirait rapidement de prison. Restait cependant à savoir la façon dont il l'accueillerait à nouveau dans sa vie – s'il le faisait. Et l'hyperactif doutait qu'il prenne bien une démonstration de souffrance publique telle que la sienne.

Alors, il voulut partir, trouver un endroit dans lequel se cacher, dissimuler son visage mouillé et rougi par la honte aux regards les plus indiscrets. Mais tout ce dont Stiles fut capable se résuma en un geste. Recouvrir son visage de ses mains. Une précaution inutile puisque cela voulait tout dire... Et ne cachait rien des spasmes forts qui secouaient brutalement ses épaules. Des sanglots paniqués. Et Stiles ne put contrôler la violence de ses pleurs, la puissance de l'angoisse qui le paralysait. Il essaya de respirer mais n'y parvint tout simplement pas.

Soudainement figé sur le trottoir, il sentit ses jambes faiblir, son propre cœur défaillir.

AcceptanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant