Chapitre 15: Joséphine

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Comment part-on d'ici ? Ça, c'est la bonne question. J'aimerais bien que Joséphine s'approche, je pourrais lire en elle et comprendre pour quelle raison elle veut nous acheter et comment elle va s'y prendre. C'est curieux, car elle n'était jamais apparue dans l'équation de notre périple avant, pourtant j'ai la sensation qu'elle est importante, qu'elle va faire partie du voyage.

- Zax, tu me réponds, insiste Izoée. On part comment ?

- Je ne sais pas encore, mais ne t'inquiète pas, si chacun de nous quatre suit sa destinée, nous ne devrions pas subir d'autres dommages ici.

- Tu appelles ça, des dommages ! Moi, j'y vois des tortures, s'insurge-telle. Je vais être marquée à vie. Charly et Charlène me manquent ! Ma mère me manque ! Pourquoi je t'ai accompagnée ?

L'évocation des jumelles et de Rosy me serre le cœur. Où sont-elles ? Ont-elles réussi à trouver un refuge ? Avant notre départ, j'avais sondé la prunelle de Rosy et entrevu les difficultés qu'elles allaient affronter toutes les trois. Des jours d'errance, la faim, la peur. J'avais perçu le désespoir de Rosy face à l'absence de sa fille aînée et son incertitude sur sa capacité à protéger ses cadettes. Rosy, ma mère de substitution. Une femme extraordinaire, chaleureuse qui m'a pris sous son aile dès mon arrivée dans son foyer. Je l'ai abandonnée sans scrupule, parce que je sais l'avenir. Parce que j'ai un rôle, parce qu'Izoée est ma bouée, ma boule de cristal pour lire les aléas de ma route.

- Tu as changé, Zax, poursuit mon amie, toujours furieuse. Tu as changé depuis notre départ. Je te trouve dure, insensible. On dirait que tu te sers de moi. De nous.

Elle désigne du menton les garçons avachis au sol, à côté de leur gamelle d'eau. Ils sont pitoyables avec leurs vêtements déchirés, leur corps meurtri et surtout leur air soumis. Un étau me comprime la poitrine, je retiens une larme. Izoée a raison, je me sers d'elle, elle le comprend seulement maintenant, ma naïve amie. Et il est trop tard pour reculer. Mais je l'aime, je l'aime comme une sœur. Et tout ce que je lui fais subir me détruit chaque jour, un peu plus.

- Je t'aime Izoé, je lui lance avec ferveur. Je suis tellement désolée de ce que tu vis. Je te promets que l'on va partir d'ici. Je sais que l'on vient de passer des heures difficiles. Mais il n'y avait pas d'autres solutions, crois-moi. Si j'avais pu te conduire ailleurs, si j'avais pu me couper une jambe pour changer les choses, je l'aurais fait sans hésiter. Je tiens à toi. Tu es la personne qui m'est la plus chère sur cette terre.

Elle sanglote tout doucement. Elle est à peine à un mètre de moi et je ne peux pas la serrer dans mes bras. Jamais je n'ai eu autant besoin d'un contact physique. Je me mords les lèvres et l'enlace en pensées. Ses yeux me fuient, elle renifle. Son visage est barbouillé de larmes et son nez coule. Elle finit par me regarder.

- Je t'aime aussi Zax, souffle-t-elle.

Quelqu'un piétine devant nous, nous défigure. Un vieil homme que je n'avais pas encore remarqué. Ses yeux fatigués sont voilés par le prisme de la cataracte et j'ai du mal à le déchiffrer. Je vois quand même des bribes de sa vie passée. Un garçon fort et dynamique, pompier volontaire. Des existences sauvées, des accidents évités. Une femme, deux enfants. Un divorce douloureux. Une autre femme et un nouvel échec. La perte de son fils, un anéantissement. Le mariage de sa fille. Le bonheur de garder ses quatre petits-enfants. Puis l'alcool qui s'est insidieusement invité dans son quotidien. Une forme de déchéance, mais toujours le contrôle de son image.

Anton s'approche de lui et, en bon négociateur, commence à faire l'apologie de sa marchandise. Il nous désigne tour à tour, mais ne manque pas non plus de présenter tout l'attirail qu'il a étalé sur sa table, nous renvoyant à l'état de simple objet.

Zax, l'OmniscienteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant