Chapitre 14: La clé

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Après la torture physique, celle de l'attente. Des heures et des heures que l'on moisit dans ce cagibi. J'ai soif, mais je sais que je ne pourrais pas boire facilement. J'ai l'impression que mon gosier est troué, je ressens encore le tranchant de la lame qui s'acharne sur mon cou. Je frissonne.

De la fièvre. Je crois que j'ai de la fièvre, je transpire, mais je suis aussi frigorifiée. Je claque des dents. Je n'arrive pas à m'en empêcher. Je sens qu'Izoée remue sur ma gauche. Elle avait dû s'assoupir, ça fait un moment que je ne l'ai pas entendue et je n'ai plus l'énergie de la solliciter.

- Zax, c'est quoi ce bruit ? s'enquiert-elle, anxieuse.

- Juste mes dents, j'ai froid, je me force à répondre.

Elle tente de se rapprocher. Je le comprends au frottement de la chaise sur le sol et à son expiration sonore. Elle n'y arrive pas plus que lors de son dernier essai.

- Tu ne devrais pas avoir froid, on étouffe ici. Tu dois être malade. Dis-moi que cela va s'arrêter vite. Tu as vu quand tout cela s'arrange, hein ?

Je cherche ce que je peux encore lui répondre sans la décourager quand la porte s'ouvre à la volée.

Le gars aux dents tachées allume et ricane en nous contemplant. Son acolyte le bouscule un peu et se place à ses côtés. Aveuglées par la petite ampoule qui crache ses quelques watts dans la pièce, nous clignons des yeux à qui mieux mieux.

Cheveux gras, qui doit s'appeler Anton d'après les interpellations de son compagnon, s'est muni d'un grand sac en toile de jute. Il y enfourne une partie des objets qui reposent sur les étagères. Dents jaunes s'est rapproché de moi, il m'observe. Son haleine de vieux camembert m'écœure, mais je ne peux pas reculer la tête ni m'empêcher de respirer, je m'oxygène un maximum par le nez, les mouvements de déglutition me font trop mal.

Je ne sais pas ce que mon tortionnaire baragouine soudainement à son compagnon, mais il sort avec précipitation du cagibi en vociférant. L'autre s'approche de moi et pose une main sur mon front, puis grimace.

- Yes, you're right, she has a fever.

Ça a l'air de les inquiéter. C'est sûr que je vais être bien moins monnayable dans cet état. Dents jaunes revient avec une trousse à pharmacie qu'il donne à Anton. Celui-ci semble hésiter à s'en servir. Peut-être se demande-t-il si cela veut le coup de gaspiller du désinfectant ou un cachet pour me retaper. Il me fait ingurgiter une gélule avec un peu d'eau. C'est horrible, j'ai l'impression d'avaler des bris de verre, ma gorge me fait souffrir le martyre. Je m'étouffe. Anton aux cheveux gras s'en moque, il me passe dans le cou un coton imbibé d'antiseptique, sans aucune délicatesse. Je crie. Un son rauque s'échappe de ma bouche. Un hurlement animal. Il me colle un gros pansement et appuie dessus avec un sourire vicieux. Il se délecte de ma douleur, j'en suis sûre. Je voudrais être forte et rester stoïque, mais je pleure tellement j'ai mal.

Il en a fini avec moi, il se penche alors sur Izoée. Elle est muette, sans doute tétanisée. Tant mieux, elle l'intéressera moins. Il regarde sa plaie à la jambe, hausse les épaules et remballe son matériel. Apparemment, les blessures de mon amie ne sont pas inquiétantes.

Les deux hommes nous ignorent maintenant, ils inspectent les étagères. Et remplissent un deuxième sac. Je vois Anton soupeser un bidon. Il contient sans doute de l'essence. Un liquide extrêmement convoité. Il semble hésiter, puis repose son trésor. Il choisit alors deux lampes de poche, des piles, une couverture de survie dépliée et un mécanisme fait d'engrenages que je n'arrive pas à identifier. Il enfourne le tout dans son sac.

De son côté, Dents Jaunes a fini son inventaire et s'énerve de la lenteur de son acolyte. Anton grimace et renonce à emporter une tresse d'ail. Il me regarde, jauge mon état et sort sans un commentaire. La porte du cagibi se referme et nous restons plusieurs minutes dans le noir sans oser communiquer.

Zax, l'OmniscienteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant