Chapitre 5

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La journée s'est écoulée dans la morosité la plus totale. Je n'ai qu'une hâte : rentrer chez moi pour m'asseoir devant mon piano. Des années que je n'ai pas joué et, tout à coup, mon envie revient, si brutale et si sauvage que j'ai... besoin... de jouer ! Mais mon ordinateur semble en avoir décidé autrement. Il n'arrête pas de planter et se fige sur la même page, m'empêchant d'achever une tâche essentielle. Je pianote comme une furie sur les touches et il pousse une espèce de gémissement de souffrance, la ventilation tournant à pleins tubes. Puis, tout à coup, plus rien. Je ne parviens même plus à changer de page. Tous les logiciels ouverts sont bloqués. Je donne un coup contre la cloison. Je hurle en silence. Parce que j'ai eu franchement mal, et parce qu'évidemment cela n'a pas arrangé la situation. J'hésite à appeler les informations de la Carter Corp à l'aide car je ne peux pas les encadrer. Plus mous qu'eux, tu meurs ! La tête brune de Matt apparaît aussitôt. Les roulettes de sa chaise couinent.

Matt : "Qu'est-ce qui t'arrive, princesse ?"

J'émets un râle agacé.

Luan : "Arrête de m'appeler comme ça ! Ce n'est pas le moment ! Vraiment !"

Matt : "Tu veux que je t'appelle comment ? Machine ?"

Je lui flanque un coup sur l'épaule.

Luan : "Répète ça et je t'étripe !"

Il part dans un grand éclat de rire, avant de s'avancer vers mon bureau. Il jette un œil à mon ordinateur.

Matt : "Oh ! Il a l'air de mauvaise humeur."

Luan : "Tu peux faire quelque chose ?"

Matt : "Laisse-moi jeter un œil."

Je lui cède ma place. Matt passe les minutes suivantes à tâtonner avec la souris et tente de rebooter la machine, sans succès.

Matt : "Tu lui as fait quoi exactement ?"

Luan : "J'ai joué au Solitaire toute la journée et j'ai mis une raclée au PC."

Il m'adresse un clin d'œil en riant de mon ironie.

Matt : "Ben voilà, maintenant il t'en veut beaucoup. Il a la rancune tenace."

Luan : "Je l'avais remarqué."

Je me relève en étirant mes muscles endoloris.

Luan : "Il plante de plus en plus. J'en ai marre de perdre mon temps sans arrêt."

Matt : "Mauvais karma. Va faire une pause. Je regarde ce que je peux faire."

Luan : "Tu es un amour."

Je dépose un baiser sur sa joue et m'éloigne. Je suis ravie de faire ce break inespéré. Et non négociable. J'étais à deux doigts de coller un coup de pied à l'ordinateur ! Ma patience a ses limites. Je traverse le couloir pour gagner la salle de pause, remontée comme une pendule. Je déteste perdre mon temps. Je devrais être déjà partie.

Luan : "Au lieu de ça, je suis coincée ici, avec cette saleté de machine !"

Je bougonne tout haut et je suis tellement énervée que je ne me rends même pas compte que je fonce sur Cassidy, la DRH de la boîte. Une espèce de croisement entre une bourgeoise coincée et une garce. Savant mélange qui m'étonne à chaque fois que je la croise. Sans la remarquer, je continue mon déferlement de bons mots.

Luan : "A quoi ça sert d'avoir des machines sophistiquées si elles doivent planter sans arrêt ?"

Je hausse les épaules, toute seule, tandis que le rire de Cassidy me vrille soudain les tympans. Son air hautain m'exaspère au plus haut point.

Cassidy : "Sans doute parce que la sophistication n'a pas le même sens pour vous que pour le reste du monde."

Je me fige, tandis qu'elle me toise de la tête aux pieds, en scrutant mes vêtements. Je lui renvoie son regard avec aplomb. J'ai envie de lui arracher les yeux. Je me force à lui lancer mon sourire « boulot » et rétorque.

Luan : "Non, c'est évident."

Je lui laisse le soin de saisir le sous-entendu et m'éloigne à grands pas, en continuant de marmonner entre mes mâchoires serrées. Seulement, mon agacement a changé de cible. Espèce de garce ! Ai-je besoin de préciser que je déteste Cassidy ?

Après avoir bu un café qui ne m'a nullement calmée, je reprends le chemin de mon bureau. J'espère ne pas recroiser Cassidy dans le couloir. Cette fille a vraiment une dent contre moi. Est-elle jalouse de ma relation avec Matt ? Ah ! Aurait-elle le béguin pour lui ? Pauvre Matt ! Je souris toute seule à cette pensée. En arrivant à mon box, je l'aperçois debout près de mon ordinateur, pendant qu'un type est penché sur l'écran, en train de pianoter avec adresse sur les touches de mon clavier. Je suppose que c'est l'un des informaticiens. Je me prépare à prendre sur moi lorsque je fige brusquement. Oh, mon Dieu ! Ces cheveux noirs tombant dans son dos. Ce port de tête altier. Ce nez fin et bien dessiné. Ces lèvres bien trop sexy pour mon petit cœur. Ce profil condescendant. Ce biceps sculpté. Non ! Sauvez-moi, pitié ! Mon pouls s'accélère méchamment. Bon sang, il ne peut pas être là ! Ça ne peut pas être lui... Impossible ! Matt relève les yeux vers moi. Il m'adresse un sourire bien trop sournois pour être honnête. Je m'arrête net. Mes pieds semblent fichés dans le sol. Mes mains sont moites. Une tempête rugit sous mon crâne. Même derrière son fauteuil, je peux humer son parfum musqué. Non, il ne provoque pas le moindre effet en moi, c'est mon imagination. Je me le répète mille fois. Peut-être que j'arriverai à y croire. Je fixe Colin, assis derrière mon ordinateur. Matt me fixe, épiant mes réactions. Et Colin, concentré, ne fixe personne. J'essaie de paraître stoïque. C'est peine perdue, je le sais, mais au moins, j'aurai tenté. Je contemple les longs cheveux noirs dans lesquels j'ai envie d'enfoncer mes doigts. Et si je pouvais tirer dessus, ce serait encore mieux !... Les battements de mon cœur s'accélèrent. Je ne comprends pas ce qui se passe. Les doigt de Colin s'agitent sur mon clavier avec frénésie. Les images défilent sur mon ordinateur, mais je les distingue à peine. Je suis déboussolée, hors de contrôle. Je tente de lever les mains pour les poser sur le dossier du fauteuil sur lequel il est assis. Il prend enfin conscience de ma présence. Son regard bleu-azur s'arrache de l'écran du PC et se tourne vers moi. Mon cœur risque de céder sous l'impact de ses prunelles de glace. Un sourire ourle ses lèvres si charnues. Je ressens le besoin de presser les miennes sur les siennes. Même si c'est sûrement la pire idée du siècle. Mais tout m'attire en lui. Alors tant pis, non ? Pitié, que quelqu'un me donne une bonne excuse pour oublier totalement ce que me dicte ma raison ! J'aperçois la petite lueur que je redoutais dans ses iris : celle qui murmure qu'il se moque de moi. Matt interrompt brusquement mon afflux d'hormones incontrôlables et me ramène à la réalité.

Matt : "Colin est en train de regarder ce qui cloche sur ton PC. Ça ne devrait pas prendre trop de temps."

Je hoche la tête et tente de retrouver la maîtrise de mon corps autant que de mon esprit. Colin n'a pas détourné les yeux des miens. Et soudain, je percute. Mais qu'est-ce qu'il fout ici ? J'ouvre grand les yeux. Je revois Colin, fier et droit sur le devant de la scène, sa voix roulant et s'imprimant sur ma peau. Je le regarde, assis derrière mon ordinateur, vêtu d'un costume sombre et d'une cravate en partie dénouée. Mon Dieu que c'est sexy. Je secoue la tête bêtement. Colin... travaille pour Carter Corp ? Ma bouche s'arrondit de surprise. C'est une blague ?

IS IT LOVE ? - COLIN : Mélodie du CœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant