Chapitre n°0 ...La Cage

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Korzan

D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours vécu dans une cage. Une prison étroite, lugubre, avec cette odeur de renfermé. Oui, ma cellule sent la cave. Rien de comparable au parfum d'une rose, à mon grand désarroi.

Il y a des démons. Ceux que nous croisons le jour dans les couloirs. Et ceux qui apparaissent quand on ferme les yeux la nuit. Des images de corps brisés, de morts violentes hantent mes rêves, quand je dors encore. Même en pleine journée, des ombres assombrissent ma vision.

Une goutte d'eau tombe du plafond. Une autre suit. Une flaque se forme. Elle stagne. Bientôt, des moustiques viendront pondre leurs œufs, et ils me suceront le sang jusqu'à la dernière goutte.

Les barreaux me privent de ma magie, comme des menottes. Sans elle, impossible de m'enfuir ou d'éclairer cet endroit obscur. Je gratte le sol poussiéreux. Mes ongles râpent contre le béton, se cassent. La douleur ne me dit plus rien. Je ne sais plus quel jour nous sommes. Depuis combien de temps suis-je ici ? Quelques heures. Quelques années. Impossible de dire.

Ma dernière sortie a été... correcte. Un repas chaud avec des soldats joviaux. En apparence. Ils s'amusent à me maltraiter. Je suis le bouc émissaire de l'armée d'Handore. Mais la seule récompense pour mes meurtres au nom du roi Lodrum, c'est la nourriture. Il m'affame pour me forcer à obéir. Un jeu de survie.

Lodrum m'appelle "mon toutou". Un surnom affectueux. Moins cruel que "plancton". Celui-là, il l'utilise pour me rappeler à quel point il est grand, alors que je ne suis rien. Ou, quand il n'est pas d'humeur, c'est "clébard". Simple, efficace. Du venin à chaque mot.

Jamais il n'a prononcé mon véritable nom. Ça fait si longtemps qu'il a sûrement oublié. Ça m'irrite. Je ne suis pas ici pour un crime. Juste parce que je suis utile. Une particularité qui l'intéresse. Alors, il me garde sous clé, dans cette prison sous son château.

Il me nourrit, m'entraîne. Puis il m'attrape par le col et m'envoie sur le champ de bataille. C'est Devon qui s'en charge. Il tire les ficelles, je suis la lame qui tombe. Quand le roi reçoit des invités, il m'exhibe comme un trophée. C'est toujours pareil.

Vous vous demandez sûrement pourquoi je n'essaie pas de fuir à ce moment-là. Je l'ai fait. J'ai essayé. Plusieurs fois. Mais Devon est télépathe. Il bloque mes capacités. Et à chaque tentative, les gardes me trouvent. Ils me punissent. Toujours.

Mais... même si je réussissais, où irais-je ? Nulle part. Je n'ai pas de famille. Pas d'amis. Rien.

Des pas. Je les entends, mais ne relève même pas la tête. Encore un garde, une autre surveillance de routine. Mais non, ces pas sont trop légers. Pas de cliquetis d'armure. Intrigué malgré moi, je lève les yeux. Une silhouette approche, éclairée par une torche. Une femme. Mon regard s'attarde sur elle. Teint olive, joues rosies. Ses yeux hazel brillent sous les flammes, glissent sur moi. Ses cheveux bouclés captent la lumière. Elle ne porte pas l'uniforme de la garde. Juste du cuir, un masque noir accroché derrière son cou. À sa ceinture, une dague ornée de pierres précieuses.

Je me redresse. Elle n'est pas censée être ici.

Mon premier réflexe est de penser à Devon. Est-ce encore un de ses tests ? Une nouvelle illusion pour me piéger, pour m'observer ? Peut-être veut-il voir si je vais tenter quelque chose de stupide. C'est son genre, ces petits jeux. Mon corps se tend, mais je garde mon visage impassible.

Elle sourit vaguement, comme si elle était plus préoccupée qu'elle ne voulait le montrer.

Se son. Sur ses lèvres... Il ricoche dans ma tête. C'est la première fois depuis... depuis trop longtemps que quelqu'un m'appelle ainsi. "Korzan". Mon véritable nom. Pas "toutou", ni "plancton", ni aucune des autres insultes qu'on me balance au quotidien. Juste Korzan.

Sanvisage ~ Le PourfendeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant