34. Le chevalier gardien

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pdv Nélya

      Le chiffon passe entre les clous ensanglantés, la reine frémit. Cette douleur ne la quitte plus depuis des dizaines d'années et elle ne sera jamais habituée. Tous les matins, le guérisseur royal nettoie la couronne fixée sur son crâne. Il lui administre un calmant et resserre les vis.

Attablée à l'autre bout, je me force à avaler quelques raisins. La couronne me répugne alors j'évite de trop regarder.

Pourquoi font-ils ça lors du petit-déjeuner ?

Une servante s'approche pour remplir mon verre, mais je pose ma main dessus pour refuser. Elle s'éloigne sans un mot, son pichet à la main.

Au palais, nous ne sommes jamais vraiment seuls. Les serviteurs nous suivent partout, tout comme les gardes. Et en tant qu'héritière, la surveillance est encore plus rapprochée.

— Vous êtes d'humeur maussade, remarque la reine.

Malgré la souffrance que lui inflige sa couronne, elle grignote avec une grâce naturelle. Même vêtue simplement d'une robe de dentelle aux coutures dorées, sa prestance est indéniable.

— Je vous remercie de vous en soucier, votre majesté, dis-je avec un soupçon de sarcasme.

Depuis que le codex m’a désignée comme héritière, ma tante a changé de comportement envers moi, me vouvoyant désormais comme si j'étais déjà reine. Je suis la clé qui pourrait enfin la libérer de ce fardeau.

— Ce matin, j'ai reçu une lettre de mon cousin, Manolys Alliser Freus. Il a quitté Antyk pour un temps. J'aurais aimé qu'il reste pour le couronnement, qu'il me soutienne...

Cet imbécile ne m'a pas prévenu et n'a même pas prit la peine de me dire au revoir. Il part avec Korzan alors que j'ai besoin de lui ici.

— Vous avez toujours été proche, se souvient la reine.

Elle recule sa tête pour éviter le chiffon imbibé d'alcool que le guérisseur passe sur sa peau. Celui-ci se décale pour la laisser tranquille.

— Je me rappelle d'un jour où il avait grimpé sur les murs du palais pour veiller sur vous. J'avais trouvé cela rocambolesque. Alors, je l'ai invité et conseillé de ne plus entrer tel un voleur.

La reine rit doucement, et je m'imagine la scène. Cela devait être au début de mes leçons, quand nous étions encore des enfants.

— En voyant cette bienveillance qu'il avait pour vous, j'ai tout de suite organisé sa formation pour qu'il puisse vous protéger. Il suivait ses leçons d’escrime pendant que vous, vous récitiez les lois de notre royaume.

— Vous l'avez toujours su... marmonné-je.

Elle détourne son regard vers une coupelle de fruits prédécoupés, l’air pensif.

— Votre père vous a accordé une enfance dans l'ignorance. Ce n'est pas offert à tout le monde, Nélya. D'autre part, nous n'étions pas certains de votre filiation à la couronne. Vous savez, par le passé le codex a choisi un homme du peuple au lieu des descendants légitimes du roi.

— Notre arrière arrière arrière arrière grand-père. Lerent Arum. Il s'est longtemps battu et il a du se démarquer pour ne pas perdre sa place. Les Spectrum ont quitté Antyk après leur défaite. Il a évité le sort du malheureux Sventon, enfermé après que le codex l'ait proclamé prochain détenteur.

— Sventon n'avait pas les capacités, tranche la reine. Contrairement à notre ancêtre qui s'est démené pour ne pas être utilisé.

— Lerent a détruit une famille pour assiéger le trône. Il ne connaissait rien à la politique. C'était un mineur du désert, pas un commandant, ni un noble.

Sanvisage ~ Le PourfendeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant