Chapitre 4 | Le carnet - Part I

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Les cinq jours suivants, je fis mine d’être malade, et même si je ne supportais pas de rester enfermé à la maison, j’aimais mieux ça plutôt qu'aller au lycée. Je n’avais aucune envie de me retrouver face à Yann et sa bande, cela m’angoissait plus que tout. Depuis l’accident, mon grand-père ne m’adressait la parole que pour me demander de venir à table ou pour laver la vaisselle. Rien ne s'arrangeait entre nous, et depuis la mort de mamie Ada, les choses n'allaient pas changer puisqu'elle était la seule à pouvoir changer la donne. Grand-père s’enfermait dans son bureau toute la journée. Quant à moi, je passais mes matinées à jouer à la console, je faisais mes tâches ménagères et je retournais dans ma chambre ressasser les évènements de ces dernières semaines.
Depuis cet été, avec mes rêves sur les disparitions de Dan Mavinga et d’Antoine Planelle, les paroles de mamie Ada avaient pris une tout autre dimension. Il m’était impossible d’expliquer ces choses de manière rationnelle. Sans compter, cette énième vision avec la fille qui était poursuivie par ces mystérieux veneurs de l’ombre. Il m'arrivait même de passer de longues heures à chercher dans les actualités, le soir avant de me coucher, si une jeune fille n’était pas portée disparue dans la région.
Le week-end arriva enfin et Lana me rendit visite. Quel soulagement ! Je n’avais pas eu une seule nouvelle d’elle depuis que mon grand-père m’avait confisqué mon téléphone portable.
Lana apporta un sac rempli de nourriture que son père avait cuisiné pour nous. Nous allâmes le déposer sur la table de la cuisine. Une bonne odeur s’en dégageait, j’avais hâte de découvrir son contenu. Au menu : rôti de bœuf et le yorkshire pudding, un plat traditionnel anglais. Je me ruai dessus.
− Good Lord ! On dirait que tu n’as pas mangé depuis des jours ! s’exclama Lana.
− C’est juste… que la nourriture de ton papa… est vraiment géniale ! lui répondis-je, la bouche pleine à craquer.
− Je lui passerai le message, répondit Lana en m’observant d’un air effaré.
Soudainement, Lana s’approcha de moi et effleura de sa main l’égratignure sur mon front. Penchée devant mon visage de longues secondes, les sourcils froncés, elle semblait s’interroger en examinant un stigmate bien superficiel pour un si grave accident. Dans son mouvement léger, je remarquais pour la première fois la délicate note florale de son parfum. J’étais, à la fois, agréablement surpris par son geste et gêné par cette attention peu commune de sa part. Dans son regard, je percevais une forme d’inquiétude, alors je tentai de la rassurer.
− T’inquiète, ça va ! Ce n’est même plus douloureux.
− Pourquoi tu as fait ça ?
− Yann et ses gars m’ont menacé, je ne pensais pas que ça irait aussi loin.
Je n’avais pas l’intention d’avouer la vérité à Lana. La connaissant, elle aurait débarqué lundi au lycée pour remettre les idées en place dans la tête de Yann et n’aurait fait qu’aggraver notre cas à tous les deux.
− Mais tu aurais pu y laisser ta vie !
− Tu as maintenant la preuve que tes prières pour moi sont efficaces, dis-je avec un sourire narquois.
Lana se détendit aussitôt et me tapa l’épaule vigoureusement. Je criai de douleur en ricanant. Puis mon assiette à la main, nous montâmes à l’étage et je pris soin de refermer la porte de ma chambre, car je ne voulais pas que mon grand-père écoute notre conversation.
− Est-ce que tu as pu en savoir un peu plus sur les veneurs de l’ombre ? me demanda Lana.
− Non, mais après l’accident, j'ai fait un autre rêve étrange.
Lana fronça les sourcils : « Encore un de ces rêves prémonitoires ? » 
− Si on peut appeler ça comme ça, oui, dis-je en hochant la tête. Cette fois, c'était une jeune fille qui fuyait quelque chose ou quelqu'un.
− Alright ! Alors, donne-moi plus de détails, que s’est-il passé dans ton rêve ? Comment était la jeune fille ? dit Lana, en se levant d’un air très sérieux et faisant les cent pas dans ma chambre. Que dirait Sherlock Holmes ?
− Il dirait que tu n’es pas détective, Lana.
− Répondez à mes questions ! hurla-t-elle en me pointant du doigt.
Lana semblait très embarquée dans son nouveau rôle, je répondis aussitôt
− Elle était très paniquée. Elle a dit quelque chose à propos des veneurs de l'ombre.
Lana fronça les sourcils.
− Veneurs de l'ombre… Encore et toujours eux, c'est étrange. Vous souvenez-vous de quoi que ce soit d'autre sur la jeune fille ? Portait-elle quelque chose de particulier ?
− Je ne me souviens pas de grand-chose, désolé. Je ne suis pas sûr. Je pense qu'elle courait dans la forêt. Elle avait l'air terrifiée, comme si elle craignait vraiment pour sa vie…
Je fermai de nouveau les yeux pour me concentrer :
− La mémoire me fait défaut quant à son apparence physique, mais je me rappelle qu'elle portait un pull jaune éclatant, un jean usé et des chaussures blanches immaculées.
Lana hocha la tête, réfléchissant :
− Très bien. Et vous dites qu'elle a parlé de veneurs de l'ombre. Lorsque M. Baudry se disputait avec votre grand-père, il a également utilisé ces termes. Qu’est-ce que c’est, une secte ?
Je haussai les épaules, n’ayant pas grand-chose comme élément à fournir à mon détective privé :
− Quelques jours avant sa mort, ma grand-mère m’a parlé d’eux, je pensais qu’elle perdait la tête. On devrait peut-être demander à M. Baudry, comme il a l’air de les connaître.
− Ça me fait penser que toute la semaine, il m’a demandé de vos nouvelles, il avait l’air assez inquiet à votre sujet.
− Peut-être qu’il a peur que je disparaisse aussi, dis-je en soupirant et en m’étendant sur mon lit. Tout ça n’a aucun sens !
− Il est possible que nous trouvions des réponses en cherchant parmi les affaires de votre grand-mère, suggéra Lana.
− Bonne idée, mon grand-père les a rangés dans le grenier.
− Elementary, my dear Max! Let’s go! 

Marlavant - Le cœur de la forêt - T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant