Chapitre 3 | L'Alpine - Part IV

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Véra était sûrement le nom usuel d’une des plantes préférées de mamie. Je plongeai dans mes pensées, j’essayai de cheminer entre les méandres de mon esprit, et c’est alors que la lumière apparut. Grand-mère m’avait suggéré de m’adresser à une certaine Véra en ce qui concerne mon passé et l’histoire de mes parents. Je me souvins qu’elle désirait me livrer plus d’informations, mais sa santé mentale la limitait considérablement…
Ce souvenir agréable de mamie me donna un regain d’énergie et je tentai une immersion dans l’échange de mon grand-père avec son ami.
− Votre femme s’appelle Véra ? demandai-je au commissaire en prenant l’air le plus serein possible, car la pression exercée dans mon crâne me donnait la nausée.
− Oui, pourquoi ? répondit-il.
− Comme ça, je trouve que c’est un très beau prénom.
− Merci, je ne manquerai pas de le lui rappeler, dit-il en jetant un regard dans le rétroviseur.
− N’était-elle pas aux funérailles de ma grand-mère ? insistai-je timidement.
− Oui, effectivement, nous voulions vraiment y assister.
Je me souvins alors plus clairement de la femme qui accompagnait le commissaire Manda. Elle était très grande et son regard était d’un bleu pénétrant, j’avais même eu l’impression qu’elle n’avait cessé de me fixer durant toute la cérémonie.
− Grand-père, tu devrais les inviter à la maison, je ne connais pas bien tes amis, lançai-je.
− Maxime, je ne suis pas certain d’avoir envie de t’entendre ce soir. Et le commissaire est déjà bien occupé comme ça en ce moment, rétorqua grand-père fermement.
− Mais non, ne vous en faites pas ! Véra et moi serions ravis de vous rendre visite, s’enthousiasma le commissaire.
Au fond de moi, c'était la réponse que j’espérais entendre. Mon grand-père fixa l’homme avec insistance et passa une main dans son chignon. Il ne paraissait pas à l’aise à l’idée d’inviter la famille Manda dans notre maison ni n’importe quelle personne d’ailleurs : « Je ne sais même pas cuisiner, je serais incapable de vous recevoir honorablement… se justifia grand-père. »
− Après tout ce que vous avez fait pour Véra et moi, c’est à nous de vous recevoir.
J’avais du mal à me concentrer sur la conversation. Je me demandais pourquoi mon grand-père ne m’avait jamais parlé du commissaire Manda ni de son entourage amical.
« Commissaire, je me demandais... mon grand-père n'a jamais parlé de vous ni même mentionné votre nom, fis-je remarquer insidieusement.
− Ton grand-père et moi avons travaillé ensemble pendant de nombreuses années. C'était un excellent préfet, mais il a pris sa retraite il y a plusieurs années maintenant, répondit le commissaire Manda.
Je fus profondément surpris par la réponse du commissaire. Je n'avais jamais soupçonné que mon grand-père avait eu un passé professionnel aussi passionnant. Je découvris une nouvelle facette de sa personnalité.
− Grand-père était préfet ? Pourquoi ne m'en as-tu jamais parlé ? demandais-je, perplexe.
− Arrêtons de parler de moi, coupa sèchement mon grand-père. Puis, tout bas, il reprit en me lançant un regard noir par-dessus son épaule : Maxime, je sais ce que tu cherches à faire, mais arrête ça tout de suite ! Commissaire, passez ce week-end à la maison, je nous ferai livrer des sashis…
− Des sushis, grand-père, le corrigeai-je d’un ton amusé.
Lorsque la voiture du commissaire Manda s’arrêta devant la maison, mon cœur se remit à battre la chamade.
« Sors de la voiture et attends-moi dehors ! me cracha grand-père. »
Je m’exécutai sur le champ car je craignais une punition mémorable, et je n’avais aucune envie d’aggraver mon cas en résistant, surtout dans mon état. J’aurais voulu que Mamie Ada soit là à m’attendre sur le pas de la porte, prête à m’accueillir dans un foyer qu’elle choyait à merveille. Elle était mon seul bouclier face à grand-père. Mais dans le froid saisissant de cette nuit automnale, il me fit poireauter devant la porte du manoir, fermée à double tour. Après quelques longues minutes, mon grand-père se décida enfin à sortir nonchalamment de la voiture du commissaire et à me rejoindre comme si de rien n’était. À peine avions-nous salué le commissaire que mon grand-père, furibond, me hurla dessus :

Marlavant - Le cœur de la forêt - T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant