Chapitre 2 | L'embuscade - Part I

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C’était lundi et j’avais énormément de mal à sortir du lit. Pendant un long moment, j’observais le plafond haut de ma chambre, « une grande pièce sans vie ». C’était ce que je ressentais au fond de moi, j’avais l’impression d’être vide de l’intérieur, de n’être qu’un corps sans âme et me rendre au lycée, ce jour-là, était bien la dernière chose que je souhaitais faire. La boule au ventre, je décidai quand même de me lever de mon lit qui grinçait dès que je le quittais, lui aussi ne souhaitait pas que je m’en aille. Lorsque je me coiffais devant le miroir, je me souvins que Mamie Ada me répétait que nos yeux étaient verts comme ceux de la forêt. Cela expliquait notre passion pour celle-ci, les arbres s’étaient comme greffés dans notre regard, disait-elle. Mes yeux étaient les seules choses que j’aimais chez moi, le reste était beaucoup moins glorieux : une coupe de cheveux bruns que je n’arrivais jamais à discipliner, un corps pas très fin, mais loin du physique d’athlète dont je rêvais.

Grand-père était déjà levé depuis un moment, les odeurs du café et des œufs à la poêle remontaient jusqu’à l’étage et me donnaient faim. Je descendis les escaliers avec précaution, et me dirigeai vers la cuisine où mon grand-père prenait toujours son petit déjeuner. Depuis l’enterrement de ce week-end, il y avait quelque chose de différent dans l'atmosphère de la maison, une tristesse qui planait constamment dans l'air. J’ouvris la porte de la cuisine et vis mon grand-père assis, à table, en train de boire son breuvageen silence. Je m’approchai et m’assis en face de lui, observant son visage fermé.

« Bonjour, dis-je doucement. »

Mon grand-père leva les yeux vers moi et hocha la tête. Je ne savais pas quoi ajouter pour étoffer nos conversations. Rien n’avait changé en lui depuis la mort de sa femme, il était toujours aussi distant et replié sur lui-même. Finalement, nous partageâmes notre petit déjeuner, en silence.

Avant de récupérer mon vieux vélo hollandais à la peinture rouillée, je décidai de faire un tour dans la serre de grand-mère. Je me dirigeai vers les Séjournas, ces plantes qu’elle affectionnait tant. Ses fleurs noires à l’odeur délicieuse et au son doux avaient un goût sucré et leur texture était proche de celle d’une barbe à papa. Elles avaient surtout de multiples vertus médicinales. Lorsque j’allais mal, il suffisait d’un seul pétale pour me redonner de la force. Un médicament de rêve ! Malheureusement, ces fleurs rares – Mamie Ada n’a jamais voulu me dire où elle les avait trouvées – avaient fini par rendre l’âme, tout comme leur maîtresse. Ce spectacle me désolait. C’était comme si Mamie mourait une deuxième fois. J’ignorais l’avenir de cette serre, mais j’espérais que grand-père pourrait lui redonner vie. Sinon, je devais me résoudre à ne plus jamais y goûter.

Alors que je traversais le hall du lycée, je remarquai tous les yeux rivés sur moi. Je sentis mon cœur battre à tout rompre, j’avais envie de fuir. J’avançais lentement, me demandant ce qui pouvait bien se passer. Peut-être avaient-ils tous eu l’écho de la perte que j’ai subie et que cela produisit en eux une forme de compassion ? Heureusement que Lana vint me sauter sur le dos pour me mettre à l’aise.

−    Comment ça va ? me demanda-t-elle.

−    Comme un lundi matin, comme deux jours après l’enterrement de ma grand-mère…

Son visage se décomposa lorsqu’elle entendit ma réponse, mais je ne voulais pas la rendre mal à l’aise, alors je lui mis une tape sur le dos et lui demanda :

−    Et toi ? Week-end mouvementé au resto ?

−    Trop dur ! soupira-t-elle. Depuis que les deux jeunes ados ont disparu dans la forêt, mes parents me séquestrent et m’obligent à les aider toute la journée.

−    Si vous avez besoin d’aide, n’hésitez pas, puis ça fait un moment que je n’ai pas eu la chance de manger de bonnes crêpes anglaises, ironisai-je.

Je remarquai de nouveau des regards insistants dans notre direction.

−    Est-ce que tu crois que tout le monde est au courant pour ma grand-mère ? demandai-je à Lana qui ne semblait pas avoir vu tous les regards sur nous.

−    Non, ça ne risque pas ! Qui aurait bien pu le crier sur les toits du lycée ?

−    J’ai l’impression que tout le monde semble s’intéresser à moi aujourd’hui.

Lana se mit à regarder tout autour de nous, lorsqu’on arriva enfin à nos casiers, je compris pourquoi nous étions au centre de l’attention. Il y avait une inscription à la bombe rouge sur mon casier très explicite « suicide-toi ». Je sentis mon cœur s'emballer et je regardai Lana qui avait blêmi : « Qui a fait ça ? cria-t-elle subitement. »

Marlavant - Le cœur de la forêt - T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant