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L'automne était révolu : l'hiver, froid et sans vergogne, approchait tranquillement Gotham. Le givre recouvrait les fenêtres translucides du manoir, faisant valser la lumière dorée du crépuscule sur les murs finement tapissés. Dans cette ode à une saison mourante, Bruce observait de son boudoir les maints jardins entretenus par Pennyworth.

Doucement, les longues nuits dévêtaient les arbres de leurs feuilles orangées. Les buissons de fleurs s'évanouissaient, grisés par l'hiver – et le souvenir de leurs couleurs semblait lentement s'éteindre pour les prochains mois. Wayne soupira, une main appuyée contre la fenêtre glacée.

Il lui semblait entrevoir un temps où Coralie suivait le majordome lors de ses escapades, buvait ses paroles et s'attelait à la cueillette d'herbes médicinales jusqu'à être interrompue par Grayson. Désormais, cette époque lui semblait si lointaine. C'était à peine si son nom pouvait être énoncé au cœur de sa demeure.

Chaque souvenir tendre, chaque sourire, fanait avant même d'avoir pu complètement éclore. Il repensait aux évènements du dernier mois. La hargne avec laquelle Coralie s'était jetée sur Drake, la force avec laquelle son bras dénué de tonus avait transpercé la passerelle. Les recherches acharnées du jeune homme concernant les antécédents de Coralie ainsi que sa relation avec Dick Grayson. L'angoisse croissante d'Alfred et de Lucius concernant l'intégrité de la jeune femme. Surtout : le regard défait de James et Barbara lorsqu'il avait annoncé que la noiraude était encore sous traitement.

Les paroles de Richard et de Jason ne cessaient de traverser son esprit. Dans l'expression des Gordon, il avait lu une trahison, un échec. Coralie était si près – et pourtant, si loin. L'hiver approchait : était-ce raisonnable de la laisser si longtemps sous la garde de Freeze, dans cette caverne glacée, en dépit de son état? Las, il se détacha de sa réflexion pour se laisser choir dans le fauteuil de son boudoir.

Le père en lui désirait ravoir sa fille, la conserver au manoir jusqu'à son rétablissement. La cryogénisation, l'armure détruite de Black Flame, les vidéocassettes du Joker, la confession de Martin : tout semblait encore trop frais, trop tôt, pour la laisser librement courir les rues de Gotham. Pourtant, en tant que Chevalier noir, il connaissait mieux que quiconque le désir brûlant de l'adolescente à reprendre ses fonctions et accomplir son devoir.

Le craquement du métal, la lueur hargneuse ayant valsé dans ses yeux bleutés : une hantise qui n'avait pas quitté Bruce depuis sa dernière visite. Une partie d'elle semblait s'être éteinte depuis son éveil cryogénique – le peu de tendresse et de respect qu'elle avait envers ce monde, évanouis.

Pendant l'espace d'un instant, juste avant son départ, il avait lu dans son propre regard la même confusion. Elle peinait à se reconnaitre elle-même, n'avait aucune idée de ses limites, ou même des occurrences des derniers mois. Les six dernières années l'avaient abandonnée dans un monde alien pour elle. Les six derniers mois – une torture, un brouillard, qui la prenait à la gorge.

Le milliardaire se massa les tempes. Il ne pouvait éternellement cacher Coralie aux yeux du monde : il lui fallait prendre les choses en main, mais comment? Il en était à ces pensées quand trois coups contre la porte du boudoir l'arrachèrent à ses réflexions.

- Bruce? J'aurais un paquet à faire livrer pour Coralie.

La voix timide de Drake le tira hors de ses sombres souvenirs. Cette demande était peut-être le signe qu'il attendait, l'occasion parfaite pour aller visiter sa fille. Il prit une profonde inspiration, puis se leva de sa chaise afin de s'enquérir quant à la requête de l'adolescent.

Un mois s'était écoulé : il était désormais temps de voir si Coralie avait progressé.



BATMAN - L'As et le Masque, Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant