6. Blind

219 44 124
                                    


Cinq avant Los Angeles... 


Quelle délicieuse journée ! 

Le soleil est plein, l'air assez frais pour une métropole de cette envergure, je retrouve, en m'en délectant, le bruit des sirènes de police, la couleur des taxis, l'odeur des bouches de métro...Ah, nom d'une manche pleine d'As, j'adore New-York. 

Je suis irrépressiblement amoureux de cette ville. Bien sûr, ça ne vaut pas Paris, mais...Qui le vaut ? 

Oui, Paris est au masculin. C'est un détail que bon nombre de mes concitoyens oublient. Seule ville à se conjuguer version mâle. En revanche, je ne me souviens plus du tout pourquoi. 

Je déambule dans les rues, et je chantonne, même. La poche droite de mon pantalon nouvellement garnie d'une montre en or ; je n'ai jamais compris pourquoi les traders prenaient le métro. Faut se méfier des pickpockets, tout le monde sait ça. Utilise ton fric pour un taxi, pas pour m'aguicher avec une montre pareille, mon pauvre. 

Enfin, l'important, c'est que ça a "refait ma journée", comme on dit. 

Rah, cette ville, mes amis, cette ville ! La cité qui ne dort jamais. Nous étions fait l'un pour l'autre. 

Le soleil, d'ailleurs, va bientôt se coucher. Je profite de ses derniers éblouissements. Hop là ! Pardon Madame ! Trébucher, frôler le bras, prendre la bague, continuer son chemin dans un sourire d'excuse, chapeau relevé pour se faire pardonner. C'est décidément une belle journée. 

Le café au coin de la 5ème et de la 8ème Avenue n'a pas changé, en trois ans. Même devanture verte, même terrasse mal aménagée, trop étriquée pour son coin de trottoir, et lorsque je passe la porte, même clochette d'antan que je leur ai supplié je ne sais combien de fois de retirer. On a l'impression, dès qu'on passe la porte, d'avoir été catapulté chez une grand-mère sudiste, fan de maïs grillé, et portant des robes à fleurs. Vision cauchemardesque, en somme. 

 Mais, elle tinte encore, la saleté. Et lorsque mon chapeau pointe le haut de sa forme au bruit du perron de la fameuse grand-mère colonialiste, Jeck, le patron de ce sordide bar que j'affectionne profondément, me reconnait, bondit derrière son comptoir, et vient me serrer contre lui, avec affection. 

Son odeur d'alcool rance et de clope froide m'avait manqué, très sérieusement. 

— Blindy ! s'exclame-t-il en m'étouffant à demi. 

Ah oui, c'est vrai. Ça aussi, c'est un truc que je lui ai dit d'arrêter. Ça ne veut rien dire "Blindy". C'est pourtant simple : Blind, classe, Blindy, naze. Blind, classe, Blindy, beurk. Il n'écoute jamais rien de toute façon. 

— Eh, Schelly ! Regarde qui est de retour ! 

Il me souffle son haleine à l'oignon sur le coin de la gueule avant de s'éloigner, pour laisser de la place à sa dulcinée. 

Schella, rombière à la cinquantaine bien tassée, - au niveau du cou, surtout-, ah non, et aussi au niveau de ses avant bras ballants qu'elle écarte largement pour venir, à son tour, m'étouffer tranquillement. 

— Bliiiiiiiind ! Ça, c'est une belle surprise ! 

La voix de Schella est gutturale, ronde, on a toujours l'impression qu'elle a un genre de patate chaude coincée dans la gorge. Quand on ferme et qu'il ne reste plus que nous, généralement, je me lance dans une imitation qui la pique autant qu'elle se marre. 

Je n'aurais pas le temps pour ça, aujourd'hui. 

— Il vient boire son verre, le français ? déduit Jeck en repartant derrière le comptoir. J'ai du vin, mais tu vas encore me dire que c'est pas du vin, alors... 

BLINDOù les histoires vivent. Découvrez maintenant