8. Moïra

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5 ans avant Los Angeles... 


Ce sera fac de lettres. C'est décidé. 
Et pas n'importe laquelle. Je prépare mon dossier pour être acceptée à Stanford. Jay a un médecin dans sa poche qui va m'offrir le statut d'handicapée, pour que je n'aie pas à me rendre en classe, et que je puisse suivre un cursus à distance. 

S'ils m'acceptent, bien sûr. J'ai un parcours complexe. Bien que j'ai obtenu d'excellents résultats à la fin du lycée, je n'y ai, techniquement, jamais mis un pied. 

Mon précepteur était un vieux Lord anglais qui se pointait au manoir de MAC pour me prodiguer des cours d'un ennui mortel. Mais il était efficace, et avec des notes pareilles au diplôme nationale, j'ai mes entrées dans de grandes universités. En présentiel ou non. 

On verra bien. Je leur concocte un dossier béton, et advienne que pourra. 

Je referme l'ordinateur sur lequel j'ai commencé à travailler ma lettre de motivation et mon CV, et m'en vais rallumer le feu dans le salon. 
James s'y trouve aussi, il boit un café tranquillement dans le canapé en épluchant des dossiers pour lesquels je ne dois "pas poser de question". 

Il est rentré de New-York il y a une semaine ; je sais qu'il est allé voir l'homme au chapeau. Il ne m'a rien dit de son échange avec lui. Il a surtout fallut que je lui fasse un repas réconfortant après l'avion. 

Mon frère n'a qu'une seule phobie - ce qui me fascine, je ne compte plus les miennes- mais elle est violente. Il a même pris des anxiolytiques pour réussir à rentrer dans "l'engin de l'Enfer", mais ça n'a servit à rien, puisqu'il a tout vomi une fois à bord. 

Ça m'amuse de voir un homme comme mon frère, si fort, si courageux, si terre à terre, dégurgiter d'angoisse devant un appareil volant. C'est peut-être, justement, parce qu'il est terre à terre. Je crois surtout que c'est une question de contrôle : dans un avion, il n'a de main mise sur rien. Et c'est bien une chose qui le paralyse, ça. 

James, son truc, c'est le contrôle. S'il passait un diplôme de pilote et qu'il avait les commandes de l'avion, je suis sûre que ça irait beaucoup mieux. 

— Tu as choisi ? me demande-t-il lorsque je passe devant le canapé pour m'occuper de cette cheminée trop vide. 

— Stanford, littérature. 

— Ils n'étudient pas de romance de merde, à Stanford, tu le sais ? 

Je lui balance une boule de journal à la figure tandis qu'il rit à sa propre pique. Et il ne s'arrête pas là : 

— Tu vas devoir lire de vrais livres, t'es sûre que t'es prête ? 

— Parce que t'as déjà ouvert un livre dans ta vie, toi ? A part le Manuel du parfait gros con

Il éclate d'un rire franc sur son canapé, hoche la tête de gauche à droite pour encaisser la vanne, puis reprend, soupirant, le travail qu'il était en train de faire. 

Je place les bûches, sous le papier journal, je jette le petit bois un peu partout ; il faut toujours trop en mettre, s'il y a un doute. 
Puis je craque une première allumette ; une seconde, une troisième? J'en dépose sous et sur le bois. 

J'observe les premières flammes dévorer le papier avant de s'engouffrer sous les bûches ; timides d'abord, puis de plus en plus installées. C'est le moment que je préfère. 

Il est interrompu par le téléphone de Jay. On ne le laisse jamais tranquille plus d'un quart d'heure. J'ai réellement déjà compté. C'est son max, quinze petites minutes. Et après, ça sonne, ça tape à la porte, ça envoie des textos. Bref. Il n'a pas vraiment de vie à lui. 

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