10. Moïra

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Quatre ans avant Los Angeles... 

Comment cette langue gluante a atterrit au fond de ma bouche pour la deuxième fois maintenant ? 
D'un certaine façon, c'est lié à la passivité à laquelle je me résous depuis des mois. Et paradoxalement, au besoin de ressentir quelque chose. N'importe quoi. Même si c'est cette bave intrusive, et très éloignée de l'idée que je me faisais d'un baiser langoureux. 

Tandis que le type passe une main moite sur ma nuque, je dresse la liste des raisons qui m'ont amenée à l'entrainer dans ce coin de l'appartement. 

Beaucoup de choses ont changé en ces quelques onze mois. Majoritairement, en positif. 

Tout d'abord, j'ai été acceptée à Sanford, et surtout, j'ai obtenu la mention Très bien pour ma première année d'études en littérature anglaise. C'est James qui a grincé des dents, persuadé que je n'étais pas fichue d'étudier un livre qui ne comportait pas de scènes interdites au moins de 18 ans. 

Ce qu'il ignore, c'est que ça reste des romances : Brönte, Austeen, et autres chef d'œuvres de l'amour au coeur des pages. Je me suis bien gardée de le lui dire. 

Ensuite, il ne reste que quatre appartements à acheter, c'est MAC qui les finance, et tout le côté pair de l'immeuble sera à nous. Ce qui me sécurise, et me permet de dormir un peu plus légèrement. Je me trouve d'ailleurs actuellement au dixième étage ; là où James organise à présent ses soirées, me permettant de choisir si je veux m'y rendre ou non, sans les imposer dans mon propre espace. 

Enfin, mon frère s'apaise, jours après jours. Et je peux remercier une jolie rousse qui le contient mieux que personne. 
Don a débarqué dans nos vies, il y a plusieurs années, complètement détruite. 

MAC s'est occupé de la loger, de la protéger, et James lui a imposé plusieurs cures de désintox. Il faut dire que Don était dans un sale état lorsqu'elle a rejoint le Manoir. 

Aujourd'hui, elle ne touche plus à la dope, et même l'alcool est très rare. En revanche, elle pratique une autre addiction : mon frère. 
Elle est profondément amoureuse de cet imbécile de Jay ; je sais qu'elle en souffrira. Il ne laisse personne entrer bien longtemps. 

Mais pour le moment, je ne lui en dis rien. Parce qu'elle lui fait du bien, parce qu'il sourit plus ; c'est égoïste, mais je priorise mon frère, dans cette histoire d'amour qui n'en est pas une des deux côtés. 

On vient de si loin tous les deux, il a bien droit à un peu de repos. Il peut fermer les yeux, auprès d'elle. Il sait qu'il ne lui arrivera rien. 

Quant à moi... Depuis que le voleur a vu ma cuisse, depuis que j'ai fermé la porte à son nez, je ne l'ai jamais recroisé. Et c'est tant mieux. A chaque fois que j'y repense, j'ai l'acidité au ventre. La honte, tout entière, pure, comme une sphère aux aspérités parfaites, qui habite mes entrailles sans payer de loyer. 

Elle s'est imposée en moi, elle ne compte pas virer de si tôt. Ça va mieux lorsque je balaye le souvenir de son regard choqué ; et, au fil des semaines, ça a été de plus en facile de penser à autre chose. 

De tout façon, il n'est jamais revenu. Je suppose que je l'ai "vacciné", comme on dit. 

Les premiers temps, je redoutais, quand James donnait une soirée au dixième. Je demandais de façon détournée qui serait présent. Et puis, les mois ont passés. Et j'ai arrêté de redouter. Il ne reviendrait pas. 

Ce qui nous amène à la langue du type ; à la fois rappeuse et baveuse. Les deux, oui. C'est le gars qui m'avait offert mon premier baiser, au Manoir, il y a de ça...Je ne sais plus combien de temps, en fait. 

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